Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/120

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excès de présomption, peut-être ausi par un retour inconscient aux idées du xviiie siècle, il entama une manœuvre qui eut pour résultat de le conduire à deux doigts de sa perte[1]… » En effet, au lieu de marcher en plein succès sur les troupes faibles de Mélas, Bonaparte, laissant Lannes à Chivasso, marche sur Milan, y entre le 1er juin et s’attarde à des fêtes et à des concerts tandis que Mélas, heureux de pouvoir respirer un peu, hâte à Alexandrie un formidable rassemblement. Le 14 juin, date de la bataille de Marengo, Bonaparte avait sous la main, en tout et pour tout, 22 mille 800 hommes — le reste de l’armée étant disséminé et occupant la Lombardie — et Mélas en avait 45 000. On voit combien la situation était changée depuis trois semaines à l’avantage des Autrichiens et par la faute du premier consul.

C’est le 7 juin que Bonaparte avait passé le Pô pour aller au devant de l’ennemi. Lannes, toujours en avant-garde avec Murat, chef de la cavalerie, devait dégager la route. Le 9, il heurta 20 000 Autrichiens, toute la division de Ott, rappelé, nous le savons, de Gênes, et les battit à Montebello avec l’appui de la division Victor. Le 14 juin au matin, l’armée autrichienne, massée sous Alexandrie, passa la Bormida sur trois ponts et déboucha dans la plaine de Marengo. À trois heures de l’après-midi, Mélas, accablé de fatigue, mais triomphant, rentrait à Alexandrie pour annoncer à l’Europe sa victoire : Lannes était écrasé sur la route de Castel Ceriolo (droite), Victor anéanti sur celle de San Giuliano (gauche), Bonaparte enfoncé dans Marengo même (centre). Soudain, Desaix[2] débouche par la gauche avec une division fraîche (Boudet), tombe sur les vainqueurs commandés par Zach, chef d’état-major de Mélas. L’artillerie reprend l’action, Kellermann charge le flanc autrichien, cependant que Lannes et Victor se reforment, reviennent et mettent en complète déroute un ennemi qui, moins d’une heure auparavant, les chassait devant lui. Ainsi fut remportée cette fameuse victoire de Marengo, pittoresquement appelée par M. Bonnal une victoire in extremis.

Les résultats en furent considérables tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. En Italie même, un armistice, signé à Alexandrie, stipula le retrait des Autrichiens derrière le Mincio. À Paris, l’allégresse fut d’autant plus grande qu’on avait annoncé un désastre ; les « factieux » furent réduits au silence. Le tiers consolidé passa de 29 francs à 37.

  1. Bonnal, op. cit., p. 141.
  2. Desaix avait été envoyé sur Novi et revint en entendant le canon. Il fut tué peu après son arrivée sur le champ de bataille.

    Bonaparte, qui savait très bien qu’il avait personnellement perdu la bataille de Marengo, en changea trois fois le récit officiel, faisant détruire les pièces. La version qu’il donna enfin est sans aucune ressemblance avec les faits tels qu’ils se passèrent.