Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/122

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gères de l’empire, eut vu ses papiers, la ruse de Talleyrand — heureux de compromettre l’Autriche auprès de l’Angleterre en publiant les négociations — éclata. Thugut, furieux, en référa en toute hâte à son maître, qui fit enfermer dans une forteresse Saint-Julien et le colonel Neipperg[1] qui lui avait été adjoint pendant le voyage en France !

Après avoir ainsi renié Saint-Julien, l’empereur proposa d’ouvrir des négociations pour la paix générale. Bonaparte, qui ne s’attendait guère à cette offre, accepta néanmoins pour ne pas aller contre le sentiment de l’opinion, mais en exigeant un armistice naval avec l’Angleterre. Il aurait ainsi pu ravitailler Malte ; aussi les Anglais qui, d’autre part, ne croyaient pas le Premier Consul disposé à reprendre les opérations sur le continent, refusèrent toute trêve, et c’est seulement un peu plus tard, étant revenus au sentiment de la réalité, qu’ils consentirent à parlementer de nouveau. Il n’était plus temps, Malte succombait (5 septembre), les hostilités sur le continent allaient reprendre[2].

Moreau avait profité de l’armistice pour remettre ses troupes en état de combattre victorieusement et aussi pour étudier le terrain des futures batailles. Libre désormais d’agir selon son génie, disposant de 120 000 hommes exercés à la guerre et fermement attachés à lui, il allait donner d’un seul coup le plus grand éclat à ses armes. En face de lui, l’archiduc Jean, fougueux général de dix-neuf ans, commandait 150 000 hommes divisés en trois corps : Klénau, à droite, avait 20 000 hommes ; Hiller, à gauche (Tyrol), en avait 30 000 ; et lui-même, au centre, en dirigeait 100 000. À Klénau, Moreau opposa Augereau, puis Sainte-Suzanne, tandis que Lecourbe devait le protéger contre Hiller. Il avançait, quant à lui, entre Mühdorf et Rosenheim. Le plan de l’archiduc Jean était un plan « à la Bonaparte ». Au lieu de rester derrière l’Inn et d’attendre, il conçut le projet de porter ses troupes rapidement derrière Moreau, de lui couper la route de Munich, en un mot, de l’isoler de sa base d’opérations. Il franchit l’Inn et se heurta, le 1er décembre, près d’Ampfigen, à Grenier, dont les troupes étaient à notre gauche. Grenier tint tête à l’attaque jusqu’à l’instant où la division Grandjean étant accourue du centre, il put battre en retraite dans le meilleur ordre. Il se retira dans la forêt de Hohenlinden, et les Autrichiens, pleins de confiance après leur succès, l’y suivirent. Moreau les attendait.

Il arrête Grenier au centre de la forêt, dans une petite plaine, et lui donne une division supplémentaire. Il envoie Richepanse et Decaën à Ebers-

  1. Il fut plus tard nommé général, et, dit M. Sorel, « l’empereur François lui montra, en 1814, sa confiance en le chargeant de garder ce qu’il avait de plus précieux : la personne et l’honneur de sa fille (Marie-Louise). Il le fit chevalier de l’une et de l’autre, et Neipperg, en récompense, donna plusieurs enfants à la femme de Napoléon. »
  2. L’armistice finit le 28 novembre 1800. Il y avait eu à Lunéville des conférences pour la paix entre Cobentzel et Joseph Bonaparte. Nous les retrouverons dans le paragraphe suivant, notre pensée étant simplement d’indiquer ici les événements diplomatiques qui se développaient pendant la suspension des hostilités sur le continent.