Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/142

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d’Irlande. L’Angleterre garde Ceylan et la Trinité, restitue les autres colonies de la France et de ses alliés. L’intégrité de la Porte[1] est garantie. Le prince d’Orange recevra une indemnité ; Malte sera rendue à l’Ordre, neutre et indépendante, sous la garantie des grandes puissances, avec une garnison napolitaine pour un an ou plus, s’il est nécessaire. L’Angleterre évacuera l’île dans les trois mois qui suivront la ratification du traité. La France évacuera Tarente et les États romains. L’Angleterre évacuera tous les points qu’elle occupe sur l’Adriatique, la Méditerranée dans le mois qui suivra les ratifications ; les colonies dans les six mois[2].

Les limites fixées aux négociations par la diplomatie du Premier Consul n’avaient donc pas été franchies et c’est bien une paix maritime qui a été signée. Tout ce qui touchait au continent avait été écarté et il semblait que l’Angleterre n’eût pas s’en préoccuper. Il y avait là comme une convention tacite de ne pas soulever des questions tellement brûlantes que toute paix eût été impossible si elles avaient été débattues avec la passion soulevée par elles. Mais ce silence cachait l’explosion inévitable et prochaine, d’autant plus qu’au point de vue colonial et maritime l’Angleterre ne pourrait admettre que Bonaparte développât les avantages que la France allait retirer de la pacification. Qu’il fut le maître sur le continent, elle l’ignorait ou faisait semblant de l’ignorer, mais elle voulait rester maîtresse des mers. Le roi George renonçait au titre de roi de France porté par les rois d’Angleterre depuis la guerre de Cent Ans, mais il ne faudrait pas que sa puissance anglaise fût heurtée par des rivaux, car alors il se retournerait encore vers le continent européen et y rechercherait les avantages perdus. Pour que la paix durât, il aurait fallu, écrit M. Sorel, « une France encore exaltée de sa Révolution, refrénant tout à coup et apaisant les passions qui la poussaient depuis dix ans à déborder sur l’Europe et qui, tournant son enthousiasme en sagesse, sa superbe en modestie, son impétuosité en prudence ; ne songeant plus qu’à jouir dans son magnifique territoire des bienfaits de la liberté, des produits de son travail, du génie de ses peuples, qu’à s’enrichir, à créer des chefs-d’œuvre ; se désintéressant même de ses conquêtes, renonçant à l’Égypte, renonçant aux Indes, aux Antilles, à la Méditerranée, pour ne point offusquer les Anglais ; ouvrant par un traité de commerce son marché à leur industrie, sauf à ruiner la sienne, afin de les consoler de la conquête d’Anvers et de Cologne ; désertant ses arsenaux, rentrant ses flottes, reculant devant l’Autriche en Italie et lui restituant la Lombardie, reculant devant la Prusse en Allemagne ; abandonnant à la Russie la suprématie du Saint-Empire et la tutelle de l’Empire ottoman. Et, ce qui est plus invraisemblable encore, une Europe, fascinée par tant de modération, renonçant à envahir à mesure que la France recule. La

  1. Des préliminaires avec la Turquie avaient été signés le 9 octobre 1801. Sébastiani était parti avec une lettre de Bonaparte pour le sultan.
  2. Sorel, o. c, p. 201-202.