Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ajouta que « ce grand exemple était nécessaire pour rattacher la classe intermédiaire à la République, chose impossible à espérer tant, que cette classe serait menacée par deux cents loups enragés qui n’attendaient que le moment de se jeter sur leur proie ». L’amiral Truget s’éleva avec courage contre la mesure demandée, estimant qu’on ne disposait pas d’assez d’éléments d’appréciation pour frapper un parti plutôt qu’un autre et Bonaparte de s’emporter à nouveau : « On ne me fera pas prendre le change… Les scélérats sont connus, ils sont signalés par la nation. Ce sont les septembriseurs… C’était bien l’indication donnée par l’opinion publique, cette grande maîtresse d’erreur et les forts de la Halle exprimaient l’indignation générale lorsqu’ils disaient, parlant des conspirateurs : « Si nous pouvions les attraper, nous leur ferions leurs fêtes, ils seraient bientôt jugés[1] » Le 4 nivôse, le bulletin de police rapporte de la façon suivante « quelques circonstances sur l’explosion ».

« Les causes de cet événement ne sont pas encore connues, on n’a que des indices. Le projet d’attaquer la voiture du premier consul dans son passage, à un point quelconque, a été conçu depuis longtemps par les anarchistes : les auteurs de ce complot sont naturellement présumés avoir dirigé l’exécution de celui qui vient d’éclater.

« Depuis longtemps, les hommes de ce parti qui se compose principalement d’officiers réformés, fonctionnaires sans emploi et autres mécontents de toute forme de gouvernement dont les premières autorités ne sont pas dans leurs mains, ces hommes, dit-on, ou leurs affidés, disaient qu’il y aurait incessamment un grand coup… Que les Thermidoriens s’uniraient aux patriotes ou démagogues, que les listes des nouveaux gouvernants se préparaient, etc. Ces propos paraissaient vagues et sans fondement. Point d’union ni de moyen d’exécution. L’événement prouve qu’un forcené, inconnu jusqu’à présent, a nourri constamment dans son cœur ce projet atroce et que le plus profond secret a rendu toutes les surveillances inutiles.

« Il peut y avoir eu des complices initiés dans la conception du projet : mais point de données certaines. Lorsque le premier consul est parti des Tuileries, deux ou trois individus placés au coin du Carrousel, près de la rue Nicaise, ont dit en parlant de ses gardes : « Les voilà qui montent à cheval. » Ce pouvait être un signal convenu (sic). Mais le seul désir de voir passer le premier consul pouvait aussi les avoir attirés en ce lieu. Un ancien employé en diplomatie, dont le rapport mérite confiance, dit s’être trouvé dans un groupe formé, deux minutes après l’explosion, dans la rue Fromenteau. Là, un grand homme maigre, en redingote bleue et grand chapeau militaire, s’est exprimé en ces termes : « Je viens du Carrousel, j’ai vu arriver un courrier apportant la nouvelle qu’Augereau avait pris trois villes fortes en Franconie

  1. Archives nationales F7 3702.