Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/174

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les dignités… Soldats ! vous n’avez pas un moment à perdre, si vous voulez conserver votre liberté, votre existence et votre honneur.

Et vous, officiers généraux, qui vous êtes couverts de lauriers, qu’est devenue votre énergie ? Que sont devenus ces élans sublimes de patriotisme qui vous ont fait braver tant de dangers ? Êtes-vous aussi tombés dans l’apathie ou êtes-vous devenus les amis du tyran ? Non, nous n’osons le croire. Pourquoi donc souffrez-vous que votre ouvrage soit détruit, que vos enfants soient proscrits et que vos ennemis triomphent ? Le repos, les richesses, les rivalités ont-ils anéanti votre courage ? Grands dieux ! Serait-il possible que ceux qui ont fait de si grandes choses pour conquérir la liberté fussent devenus assez lâches pour croupir dans l’esclavage ? Est-il besoin, pour ranimer vos forces et votre énergie, de vous retracer les maux auxquels votre faiblesse vous expose ? Déjà plusieurs d’entre vous ont été proscrits, exilés, pour avoir osé élever la voix. Eh bien, le même sort vous menace tôt ou tard. Si l’on vous ménage encore, c’est que l’on vous craint. Mais vos dangers sont les mêmes, vous êtes tous proscrits. Si vous tardez plus longtemps, la honte et l’infamie seront votre partage ; vos noms ne rappelleront plus ces époques glorieuses de vos triomphes ; on ne les prodiguera plus qu’aux lâches et aux esclaves. »

L'Adresse des Armées est surtout violente. Bonaparte y est appelé : « embryon bâtardé de la Corse », « pygmée républician », « déloyal chevalier de Saint-Cloud ». Il est accusé d’avoir mis la France à deux doigts de sa perte. « Il vient de faire rentrer les émigrés ; il rétablit le clergé. Ils n’ont point encore les rênes du gouvernement, mais ils circonviennent ce Cromwell, le dirigent dans sa marche despotique et chaque jour de son règne est marqué par le renversement des principes et la destruction de l’édifice de la liberté. La République enfin, l’ouvrage de vos soins, de votre courage et de votre constance pendant douze ans n’est plus qu’un mot ; bientôt, sans doute, un Bourbon sera sur le trône ou bien Bonaparte lui-même se fera proclamer empereur ou roi. Y a-t-il rien de plus dérisoire que sa conduite à l’église Notre-Dame, où il se fit accompagner par tous les généraux et toutes les troupes de Paris pour assister à la messe du pape ? Intérieurement, il méprise cet homme, et toutes les grimaces dont il l’a ennuyé pendant la représentation de son spectacle mystique. L’air faux d’un cagot devait donner du poids à sa conduite aux yeux du vulgaire. Dès lors, il ne vit plus que son ambition. En Égypte, il se fit reconnaître cousin de Mahomet. À Paris, s’il n’est le neveu de Jésus-Christ, il doit être au moins le père de Pie VII. En effet, c’est un pape de sa façon : il est bien juste qu’il contribue à donner du relief à sa gloire. » Après l’acte d’accusation, vient l’exposé du plan de résistance : « Formons donc une fédération militaire ; annonçons à nos chefs que nous leur ferons un rempart de nos corps si on vient de les inquiéter. Que nos généraux se montrent ; qu’ils fassent respecter leur gloire et celle des