Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/181

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de Bonaparte même : la liberté. Pour l’avoir dit, LaFayette dut rentrer dans l’ombre.

Le 14 thermidor an X (2 août 1802), le Sénat rendit le décret suivant :

« Article premier. — Le peuple français nomme et le Sénat proclame Napoléon Bonaparte premier consul à vie.

Art. 2. — Une statue de la Paix, tenant d’une main le laurier de la Victoire et de l’autre le décret du Sénat, attestera à la postérité la reconnaissance de la nation.

Art. 3. — Le Sénat portera au premier consul l’expression de la confiance, de l’amour et de l’admiration du peuple français ».

Le 15 thermidor (3 août), le Sénat se rendit donc auprès du premier consul et lui porta le résultat du plébiscite. Bonaparte, s’adressant aux sénateurs, leur dit alors : « Sénateurs, la vie d’un citoyen est à sa patrie. Le peuple français veut que la mienne tout entière lui soit consacrée. J’obéis à sa volonté. En me donnant un nouveau gage, un gage permanent de sa confiance, il m’impose le devoir d’étayer le système de ses lois sur des institutions prévoyantes… » Et cet homme qui se voyait contraint d’accepter le consulat à vie, cet homme qui n’en voulait pas, cet homme qu’on avait pris au dépourvu, qui s’en était fâché, annonçait sans retard son intention d’étayer le système des lois de la République sur des institutions prévoyantes, c’est-à-dire de changer la Constitution ! Bonaparte avait en effet préparé, rédigé lui-même une Constitution nouvelle, où il se donnait le droit de désigner son successeur. Ce droit, on s’en souvient, il n’avait pas voulu que le peuple fût appelé à le lui conférer, et cela avait encore paru une marque de son libéralisme, mais lorsqu’il fut assuré du Consulat à vie, c’est de lui-même qu’il rétablit la seconde partie de la question qui, selon l’arrêté du Conseil d’État, devait être posée au pays. La Constitution de l’an X, votée sans débat par le Conseil d’État puis par le Sénat, qui n’avait aucun pouvoir constituant, mais qui siégeait sous la « protection » des grenadiers, porte le nom modeste de Sénatus-consulte organique de la Constitution.

Le premier consul recevait le droit de grâce et le droit de désigner au Sénat son successeur. Sur refus du Sénat, il en proposerait un autre, et si le Sénat refusait encore, c’est un troisième, toujours choisi par Bonaparte, qui serait définitivement nommé. Le second et le troisième consuls devenaient aussi consuls à vie. Le Tribunat était réduit à 50 membres, divisés en sections devant délibérer à huis clos. Le Conseil d’État, pourtant docile, était annihilé par la création d’un Conseil privé nommé par le premier consul, avec mission de préparer les sénatus-consultes. Le Sénat était porté à 120 membres. Il en avait alors 66. Quarante devaient être nommés directement par le premier consul. Quatorze restaient à être choisis par cooptation, sur une liste de trois candidats dressée par le premier consul d’après la