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L’EMPIRE

CHAPITRE PREMIER

LA FRANCE ASSERVIE

L’Empire, c’est la guerre. Ce chapitre sera donc assez bref, car la vie politique en France est morte pour un temps. Le sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII établissait bien en 142 articles une Constitution, mais cette Constitution demeura sans valeur. Elle contenait des dispositions quasi-libérales, qui auraient pu à la rigueur arrêter le despotisme, mais ces dispositions n’avaient été mises là par Napoléon que pour calmer les inquiétudes de la bourgeoisie, et il était bien décidé à n’en tenir aucun compte. C’est ainsi que le Sénat recevait le droit de refuser la promulgation d’une loi, si elle paraissait contre-révolutionnaire ou inconstitutionnelle ; c’est ainsi encore que le Sénat, par ses commissions, devait veiller à la liberté de la presse, à la liberté individuelle, et se transformer en Haute-Cour pour juger les ministres qui attenteraient à cette liberté. Empressons-nous d’ajouter que « la commission sénatoriale de la liberté de la presse n’avait pas dans ses attributions la presse périodique, qui fut réduite à l’esclavage, à la nullité[1] ». Quant à la commission sénatoriale de la liberté individuelle, elle ne servit à peu près à rien, bien qu’elle se réunît souvent. « Elle fit élargir quelques pauvres diables insignifiants, ceux-là que le gouvernement autorisait à lui envoyer des pétitions. Mais le gouvernement ne se laissa contrôler par elle que quand il le voulut bien, et Napoléon incarcéra qui bon lui sembla, rétablit les bastilles, se joua de la liberté individuelle, sans que la commission servît à autre chose qu’à décorer la tyrannie d’une sorte d’apparence constitutionnelle[2] ». Il n’y a pour se rendre compte de la vérité de ces lignes qu’à feuilleter les bulletins de police conservés aux Archives nationales, c’est chaque jour et sur tous les points du territoire que les arrestations arbitraires se font pour des motifs souvent ridicules. À Toulon, un restaurateur met

  1. Aulard, Histoire politique de la Révolution française, p. 777.
  2. Aulard, id. loc., 778