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ces réalités qui surpassent la puissance des anagrammes et des calembours[1]. Trois classes d’individus s’étaient fait remarquer dans ces derniers temps de commérage. À peine ose-t-on les nommer ici, tant elles paraissent ridicules à côté de tant de puissance et de raison. Ce sont des exclusifs, des bourboniens et quelques indigènes de la population de Paris, espèce mi-partie de niais et d’oisifs qui regardent le titre de Parisiens comme une dignité, et qu’on a jadis mis en œuvre en les berçant de quelques idées de domination. Ces différents individus, pour qui un supplément de révolution serait un patrimoine, n’ont pas vu sans regret fixer la situation de la France dans un sens qui n’est pas le leur. Ces misérables intérêts se sont agités dans la mesure de leurs mérites, c’est-à-dire par quelques rébus et par des bavardages ridicules, quelquefois grossiers. Aussi n’y a-t-on répondu que par le mépris. L’oubli a suivi de près. Le mot magique de postérité jeté par l’homme qui, devant elle, paraissait si grand, a été parfaitement saisi et apprécié, et les petits moyens des petites coteries en ont paru encore plus petits[2] ». Rien, mieux que ce rapport vide et plat, ne peut montrer l’anéantissement des partis politiques. La police, réduite à collectionner les jeux de mots, les anagrammes, heureuse de signaler dans ses rapports qu’un sieur Guichard est l’auteur des vers suivants :

Du grand Napoléon, je suis l’admirateur.
Il me dit son sujet, je suis son serviteur.

et cela dans le Paris de la Révolution, n’est-ce pas le signe indéniable de l’abdication entière du peuple !

CHAPITRE II

TROISIÈME ET QUATRIÈME COALITIONS

« Les guerres du Premier Empire, voilà les guerres qui ont enfanté le militarisme moderne avec toutes ses conséquences ruineuses et son avenir plein de menaces[3] ». Nous entrons, en effet, dans la tourmente qui, pendant dix ans, va dévaster l’Europe, ruiner la France et déchaîner, avec toutes les haines, les appétits de domination et de gloire qui ne peuvent se satisfaire que dans la guerre, l’incendie, le pillage, le meurtre. L’armée est le seul soutien d’un pareil régime. C’est d’elle que tout dépend. Napoléon, de 1800 à 1815, a levé en France seulement 3 153 000 hommes, et le directeur de la

  1. Voici un exemple de ces anagrammes que recueillait la police. Avec ces mots : Napoléon, empereur des François », on faisait : Ce fol empire ne durera pas son an.
  2. Allusion à la réponse faite par l’empereur au préfet de Paris lors de la fête de l’Hôtel de Ville. Napoléon lui avait donné à entendre que « la postérité saurait mieux apprécier ses bienfaits et la sagesse de son règne que la population actuelle de la capitale ».
  3. Raiga, « La Révolution et l’Église » dans la Revue socialiste, t. X, p. 723.