Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/220

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vérité un danger incomparable pour la paix du monde. Et lorsque l’envoyé russe Novossiltsof eut commencé à Londres à entamer les préliminaires qui devaient aboutir au traité d’alliance du 11 avril 1805, ce n’est pas tout d’abord sur la réorganisation de l’Europe ni sur le futur gouvernement de la France que les discussions portèrent, mais uniquement sur « l’anéantissement de Bonaparte ». Ce traité du 11 avril unissait dans une action commune contre la France, l’Angleterre, la Russie, la Suède. L’Autriche, la Prusse, l’Espagne, le Portugal devaient être invités à y accéder. Il avait pour objet apparent d’obliger la France à respecter les traités d’Amiens et de Lunéville, c’est-à-dire que Napoléon devait renoncer à s’occuper des affaires de Hollande, de Suisse, d’Allemagne et d’Italie. Dans le cas où la guerre se généraliserait par le refus de la France à accepter ces « bases de pacification », 500 000 alliés l’y obligeraient. C’est l’Angleterre qui fournissait tous les subsides, et ainsi se trouve vérifié le mot de M. Sorel : l’Angleterre allait tout payer en Europe !

Cet acte décisif étant passé, la propagande anti-française reprit avec une nouvelle ardeur en Prusse et en Autriche. Or, que fait Napoléon dans cet instant même, il se rend en Italie, où, le 26 mai 1805, il coiffe la couronne royale, puis, contrairement à la promesse solennelle qu’il avait faite de ne plus agrandir l’Empire, il annexe Gênes et la Ligurie (4 juin 1805). Marie-Caroline, qui régnait à Naples, est avisée qu’elle doit renoncer à ses sympathies anglaises ou à son trône. L’Autriche, cette fois, n’hésita plus à entrer dans la coalition, et le 9 août, elle accédait au traité du 11 avril, d’autant plus persuadée que la victoire resterait à ses armées, que toutes les troupes françaises étaient sur la côte qui regardait l’Angleterre et que le temps qu’il leur faudrait pour revenir sur l’Europe centrale permettrait aux alliés de frapper avec succès les premiers coups qui seraient les coups décisifs. L’archiduc Ferdinand et Mack avaient 90 000 hommes sur l’Inn, l’archiduc Jean avait 40 000 hommes en Italie. Quatre armées russes suivaient. 30 000 Napolitains devaient agir de leur côté. Quant à la Prusse, Alexandre put obtenir qu’elle laissât passer les troupes alliées, et jusqu’au dernier moment, il crut qu’elle entrerait dans l’alliance. Frédéric-Guillaume attendait toujours, pleurant quand le tsar paraissait douter de lui, souriant lorsque Duroc lui offrait le Hanovre. Tandis qu’il s’immobilisait ainsi, l’électeur de Bavière et le duc de Wurtemberg acceptaient l’alliance avec la France contre la promesse du titre royal et d’une extension de territoires. Le 9 septembre 1805 l’attaque autrichienne commença, la Bavière était envahie, Ulm pris, les défilés de la Forêt-Noire gardés.

La puissante diversion à laquelle Pitt travaillait depuis son retour au pouvoir était donc chose faite. Ce fameux camp de Boulogne, où l’on avait vu, le 15 août 1804, l’empereur Napoléon, sur un trône dressé au milieu de 60 000 soldats et gardé par les vingt-quatre grands officiers de la Légion d’Honneur, puiser dans un casque des croix et des rubans qu’il remettait à