Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fice momentané, livraient leurs récoltes ou leurs réserves à des émissaires étrangers, qui parfois se disaient envoyés du gouvernement consulaire. Le Grand Juge, avisé de ces faits, demanda aux munitionnaires des armées, Carrier et Vanderbergh, la liste précise de leurs agents et la désignation des régions où ils devaient acheter, afin de pouvoir faire arrêter les acheteurs qui se diraient faussement chargés des achats de l’État.

Et maintenant que nous avons vu de l’extérieur, si nous pouvons ainsi nous exprimer, c’est-à-dire du public, comment était accueillie une disette à la vérité légère, nous allons voir comment le gouvernement se souciait d’y obvier, quel travail s’opérait dans les ministères, quels conseils étaient donnés au pouvoir afin de maintenir toujours égale la quantité de blé nécessaire à la capitale pour qu’elle ne manquât pas de pain. C’est en l’an X, nous l’avons dit, que la situation fut surtout critique au point de vue des approvisionnements. Rappelons que, pendant l’hiver de cette année, il fallut distribuer du travail à des ouvriers inoccupés. Le 8 vendémiaire nous voyons un rapport[1] aux consuls proposant trois moyens qui devaient permettre au gouvernement de parer aux besoins pendant deux mois : 1° Que chaque boulanger ait constamment dans ses magasins de 22 à 60 sacs de farine, ce qui forme un fonds d’approvisionnement d’au moins 25 000 sacs ; 2° Que chaque boulanger dépose en cautionnement 15 sacs de farine dans un magasin public pour y être conservés en réserve et à la disposition du gouvernement, sous la surveillance et manipulation de quatre syndics choisis parmi les boulangers eux-mêmes. Cela donne 9 000 sacs qui, « versés à propos à la halle peuvent y maîtriser le cours et procurer une abondance nécessaire. » Pour indemniser les boulangers de cette avance de 15 sacs, on leur fera remise du droit de patente ; 3° Faire acheter par le commerce pour être toujours à la disposition du gouvernement 30 000 sacs de farine. Il faut faire ces achats en Belgique, c’est-à-dire loin du centre d’approvisionnement des boulangers de Paris. Les mesures accessoires suivantes étaient encore proposées : 1° Obligation imposée au munitionnaire des Invalides et à celui de la 1re division militaire de s’approvisionner pour un an ; 2° Engagement des boulangers de ne pouvoir sans permission ni ralentir leur commerce ni renoncer à leur profession qu’après avoir prévenu 6 mois à l’avance ; 3° Défense de concourir aux achats de blé dans un rayon de 20 lieues autour de Paris sans être muni d’une patente de boulanger, de meunier ou marchand de blé. Le 10 vendémiaire Chaptal lui-même écrit, comme ministre de l’Intérieur, à Bonaparte[2], pour lui rendre compte des tentatives infructueuses qu’il a faites auprès de cinq individus, Bawens, Cavié, Robert, Sargeon et Cavon qui, « par la nature de leur commerce et leur crédit », lui paraissaient le plus capables de traiter avec le gouvernement pour les approvisionnements en blés. Ce qui les a surtout

  1. Archives Nationales F11 92.
  2. Archives Nationales. A Fiv 1058, pièce 14 à 27.