Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/278

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places qui, seules, fournissent des débouchés avantageux à nos vins et à nos eaux-de-vie, et vous supplient de les maintenir dans un état tel qu’elles puissent continuer avec la France des relations qui lui sont très avantageuses ». Le 11 décembre, le commerce de Lyon envoie une nouvelle pétition qui, sous la platitude des termes de respect, sous l’amoncellement des excuses, cache une désapprobation nette de la guerre qui ruine les commerçants français :

« Sire, les événements qui se pressent nous ramènent aux pieds de Votre Majesté. Il y a peu de jours que nous avons pris la liberté de l’entretenir de l’importance des relations qui existent entre la ville de Leipzig et les principales villes manufacturières de France, parmi lesquelles la nôtre tient le premier rang, En ce moment, vos armes victorieuses menacent la Russie ; vos décrets, aussi terribles que vos armes, atteignent dans son île l’éternel ennemi du continent ; Votre Majesté marche à grands pas vers le but qu’elle poursuit sans relâche ; elle forcera les perturbateurs du monde à cette paix générale qui est le vœu le plus cher à son cœur, parce que, comme elle l’a dit elle-même, elle est le besoin le plus pressant de l’Europe. Oserions-nous cependant la distraire de ses hautes pensées en la priant de jeter un regard paternel sur les malheurs qui sont, pour le commerce français et particulièrement pour celui de notre ville, la conséquence inévitable du fléau de la guerre qu’elle tend à détruire pour jamais, et des mesures sévères qu’elle s’est vu forcée de prendre pour y réussir. Ce n’est point une vaine plainte que nous venons déposer dans le sein de Votre Majesté. Elle sait bien que ses fidèles Lyonnais sont prêts à sacrifier leurs fortunes et leurs vies pour son bonheur et pour sa gloire, et nous attendrions dans le silence l’heureux dénoûment qui s’approche si, après l’avoir affligée du récit de nos vœux, nous n’espérions pas soulager son cœur en lui indiquant quelques remèdes. L’Allemagne et la Russie sont depuis longtemps le débouché le plus considérable de nos fabriques et la seule ressource qui leur restait depuis que la France et l’Espagne ne peuvent plus rien expédier à leurs colonies et que l’Italie a été appauvrie par les longues guerres dont elle a été le théâtre. L’Allemagne vient d’éprouver des pertes immenses ; les contributions qui lui sont imposées ; le sort encore incertain de la ville de Leipzig, si importante pour nous par ses foires ; la saisie des marchandises anglaises chez les négociants qui faisaient ce commerce en même temps que celui des marchandises françaises, ruinent à la fois et le consommateur et nos acheteurs ; ainsi nous ne pouvons espérer de ce côté de nouvelles commissions, et nous avons à craindre que nos débiteurs soient dans l’impossibilité de nous payer. Les retards qu’ils font déjà éprouver pour les parties échues justifient cette pénible appréhension. Nous estimons, et nous pourrons l’établir si Votre Majesté le désire, que la Russie tire de la France pour la valeur de quatre-vingts à quatre-vingt-dix millions de francs en produits territoriaux ou en marchandises