Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/294

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gleterre, on attendait que la France s’ouvrit toute grande aux produits anglais ; du côté de la France, un courant, très justement marqué par M. Levasseur, portait les industriels à désirer que les portes fussent fermées[1]. La politique économique comprise de la grande majorité était une politique strictement protectionniste ; c’est le temps de « la frénésie des prohibitions », comme l’écrit Mollien[2]. Le Conseil général du commerce discuta les bases d’un traité de commerce avec la Grande-Bretagne, et de l’une de ses séances nous tirons les renseignements suivants sur la situation de l’industrie cotonnière et celle de nos mines de houille en l’an X[3] :

« Un membre de la section du commerce expose l’état des filatures de coton. Elles seront longtemps inférieures à l’Angleterre pour plusieurs raisons : négligence des ouvriers, imperfection du travail. Trois livres de coton (numéros 22, 40 et 50) filées en France coûtent au fabricant 30 fr. 3 sous ; trois livres de coton meilleur venant d’Angleterre coûtent 27 fr. 6 deniers. » Le même membre s’élève contre le développement des filatures qui enlèvent des enfants à l’agriculture, seule base solide de la prospérité du commerce. Se basant sur ce fait que les cotons filés sont meilleurs en Angleterre, mais que la France est supérieure pour le tissage, il demande qu’on traite les cotons filés comme une matière première. Il dit : « La France a 100 000 ouvriers oisifs tout formés pour la fabrication des tissus. Le bas prix de la main-d’œuvre, l’intelligence des ouvriers, leur aptitude à cet ouvrage nous assurent en ce genre une supériorité décidée ». Le conseil a approuvé l’idée d’établir un droit à l’introduction des cotons anglais et la répartition de ce droit au profit des filatures. Sur la question des houilles, un membre dit : « Les houilles anglaises de toutes qualités peuvent être livrées au consommateur français sur le pied de 17 à 20 sous le quintal ; celles d’Anzin coûtent à Rouen 3 fr. 3 sous ; si nous repoussons la houille anglaise, nous établissons en faveur de la nôtre un monopole funeste à toutes les entreprises que cette substance alimente. Alors, le désavantage de nos manufactures dans la concurrence avec les Anglais s’accroît de ce surhaussement de prix : seul il déterminerait la balance de leur côté ! » Le ministre dit : « Le gouvernement anglais n’a rien fait pour l’exploitation des mines de houille. C’est aux efforts des particuliers dirigés avec intelligence que sont dûs les succès de cette exploitation… Ne pouvant être au pair avec eux que lorsque nos capitaux seront assez abondants pour se porter vers ce genre de spéculation, accueillons en attendant la houille anglaise et profitons des moyens que nos voisins nous donnent de nous mesurer avec eux. »

Le tarif douanier de l’an XI (28 avril 1803) repose sur le principe protectionniste, et il frappe de droits d’entrée à peu près tous les objets de com-

  1. Levasseur, o. c., I, p. 465.
  2. Cité par Levasseur, id. loc.
  3. Archives nationales F12* 191, 5 prairial an X.