Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/329

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coton furent portés à un taux formidable : les cotons de la Louisiane, de Géorgie et d’Espagne payaient 660 francs par quintal métrique, et tous les cotons longue soie, quelle que fût leur provenance, payaient 880 francs d’entrée par quintal métrique.

Et Richard-Lenoir nous exprime ses doléances avec une franchise dont la naïveté est presque touchante :

« Alors le gouvernement essayait de faire cultiver le coton dans les départements méridionaux ; il fallait donc entraver l’entrée pour favoriser sa culture ; mais aussi, de ce moment, mon intérêt particulier cessa de correspondre à l’intérêt général ; il me devint impossible, à ce prix, de faire manœuvrer mes six filatures… »

Escomptant toujours l’ancienne faveur de l’empereur, Richard-Lenoir va porter ses réclamations à M. Mollien, ministre du Trésor ; mais celui-ci le reçoit avec quelque sécheresse et se montre peu pitoyable aux épreuves de l’industriel : c’est ce qui ressort de la conversation suivante :

« M. Mollien. — Vous avez établi des fabriques hors de toute proportion, et vous portez la peine de vos vues gigantesques.

« Richard-Lenoir. — Ce que vous me dites, monseigneur, prouve que mes prévisions étaient justes, lorsque je promettais à l’empereur de suffire à la consommation si l’on consentait à prohiber les tissus étrangers. Jugez de ce que nous serions aujourd’hui, si nous avions la concurrence à soutenir, mais j’ai ouvert une mine dans laquelle le gouvernement puise sans songer à nous, et il ruine sans considération ceux qui l’ont enrichi en faisant continuellement monter le prix des marchandises premières par d’énormes impôts ».

Mollien n’était pas homme à se laisser émouvoir par de tels arguments et il se contenta d’inviter son interlocuteur à se défaire de plusieurs établissements. Il était alors dans les vues du gouvernement de substituer l’emploi du lin à celui du coton et c’était le tour de Richard-Lenoir d’être sacrifié.

Nous avons ainsi un premier exemple des effets économiques du blocus continental et de toutes les mesures douanières sur notre industrie nationale. Mais nous avons dû, pour suivre l’aventure personnelle de Richard-Lenoir, anticiper un peu sur l’ordre logique des événements. Qu’on nous permette de revenir en arrière et de montrer, après avoir reproduit les textes établissant le blocus continental, la façon dont ils furent appliqués.

La volonté de Napoléon s’imposa sous la forme la plus violente et la plus barbare qu’il soit possible d’imaginer. Comme, malgré la nuée de douaniers sur toutes les côtes, on s’était aperçu que des marchandises anglaises avaient pourtant pénétré sur le continent, des ordres impitoyables furent donnés. On fit partout des visites domiciliaires, on confisqua les denrées