Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/338

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Néanmoins, le 12 octobre, un traité fut signé par lequel on décidait de proposer solennellement la paix à l’Angleterre, sur la base d’une reconnaissance des annexions déjà réalisées par les deux contractants.

En somme, c’était un demi-échec pour Napoléon qui voulait entraîner son allié dans une action contre l’Autriche ; le czar ne se laissa pas faire et, quelques mois plus tard, quand Napoléon marcha sur Vienne, il ne lui apporta même pas le moindre concours.

À ce premier grief s’ajouta bientôt le mécontentement causé par l’inobservation du blocus continental dont la Russie souffrait cruellement. Des observations furent faites à Alexandre par ordre de Napoléon ; mais, au lieu d’en tenir compte, le czar riposta par la promulgation d’un tarif qui atteignait surtout le commerce français en frappant d’une taxe de 80 roubles le tonneau de vin et en prohibant entièrement l’entrée des eaux-de-vie et des objets de luxe. Ordre était donné de brûler toute marchandise introduite en fraude. Dès lors, la querelle s’envenima : Napoléon proclama qu’il préférait recevoir un soufflet sur la joue que de voir brûler les produits de l’industrie et du travail de ses sujets.

« Mais, répondit Alexandre, j’imite seulement vos procédés à l’égard des marchandises d’origine anglaise. »

Et les récriminations, se faisant ainsi de plus en plus violentes de part et d’autre, on ne pouvait tarder d’en arriver aux pires extrémités : la question polonaise acheva, comme nous le verrons ultérieurement, de mettre le feu aux poudres et la campagne de 1812 fut l’aboutissant d’une alliance qui ne parut jamais sans nuage.

Que si, ayant achevé cette rapide revue des perturbations européennes causées par le blocus continental, nous portons nos regards plus loin encore, nous constaterons que, par delà l’océan Atlantique, la répercussion ne fut pas moindre ; le Nouveau-Monde, lui aussi, devait en ressentir les effets.

Les États-Unis se seraient fort accommodés d’une neutralité qui leur assurait la prospérité commerciale et ne souhaitaient rien tant que d’accaparer le mouvement maritime du monde, tandis que la France et l’Angleterre aux prises s’épuisaient en campagnes ruineuses. Le président Jefferson fit les plus louables efforts pour conserver à son pays une situation si privilégiée ; mais ce fut en vain, et l’acharnement de la lutte entre les deux puissances européennes devint si formidable que, risquant de recevoir des coups des deux côtés, les États-Unis se décidèrent à prendre parti : ils mirent leur amitié aux enchères offrant à celle des deux rivales qui leur accorderait des avantages exceptionnels d’interdire les port américains au commerce de l’autre. Napoléon accepta le marché, et les États-Unis défendirent l’importation des marchandises anglaises. L’Angleterre avait, du reste, été particulièrement empressée à prendre contre les États-Unis des mesures vexatoires, à exercer le droit de visite de façon brutale, à enlever, sur les vaisseaux américains les