Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/34

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de Jourdan, le vainqueur de Fleurus, désigné pour être interné à la Rochelle. L’opinion publique se révolta à l’annonce des proscriptions nouvelles, et tous les journaux, sauf bien entendu les organes royalistes, protestèrent. Du reste, dans le gouvernement même, on se préoccupait de détruire le mauvais effet produit par la publication de l’arrêté. Bonaparte, dans une conversation avec Cambacérès, s’empressa d’affirmer qu’il n’était pour rien dans l’établissement des listes de proscription ; il réprouvait une semblable mesure et, pour que l’arrêté perdit toute valeur, il conseillait à Cambacérès de ne pas le faire insérer au Bulletin des lois. Quelques jours plus tard, Fouché, recevant Jourdan qui lui avait écrit pour se soumettre, lui dit de la part du général Bonaparte que c’est Sieyès qui a dressé la liste, que le vainqueur de Fleurus « peut se retirer où il voudra, et qu’il continuera à jouir de son traitement d’officier général jusqu’à ce que les circonstances permettent de l’employer ». (Notice de Jourdan sur le 18 brumaire). Ainsi Bonaparte ne négligeait pas de se donner comme le réparateur des fautes commises par ceux qui partageaient le pouvoir avec lui. Ce qui est tout à fait extraordinaire dans son attitude à l’égard de Jourdan, c’est qu’il paraît lui restituer sa liberté et les bénéfices de son grade, alors qu’officiellement Jourdan n’a pas été frappé, puisque son nom n’existe pas sur la liste de ceux que les consuls avaient condamnés. En réalité, ce que cherche Bonaparte vis-à-vis de Jourdan, comme vis-à-vis de tous, c’est grandir sa situation personnelle ; on le voit bien, du reste, au ton de la lettre, en date du 3 frimaire, qu’il adressa au général :

« J’ai reçu, citoyen général, votre lettre du 29 brumaire. Vous avez été froissé dans la journée du 19. Enfin, voilà les premiers moments passés, et je désire bien vivement voir constamment le vainqueur de Fleurus sur le chemin qui conduit à l’organisation, à la véritable liberté et au bonheur. Mais dans quelque position que les circonstances vous placent, ne doutez pas de l’amitié que j’ai pour vous.

« BONAPARTE. »

Ainsi Jourdan fut désarmé, et bien d’autres après lui firent leur soumission, gagnés par la séduction personnelle de Bonaparte, par la peur, ou par l’intérêt. Les adhésions au régime nouveau se firent plus nombreuses encore quand, le 4 frimaire, on apprit que l’arrêté de proscription était rapporté : les trente-quatre restaient simplement sous la surveillance de la police. Dès lors, de fermes républicains se rallient : Beyts, député de la Lys ; Porte, député de la Haute-Garonne ; Doche-Delisle, député de la Charente ; Joubert député de l’Hérault ; Bergasse, député de l’Ariège, d’autres encore, exclus ou proscrits, écrivirent aux consuls, à Bonaparte surtout, pour assurer le gouvernement de leur fidélité. Le Moniteur publia, le 19 frimaire, une lettre de Barère, proscrit de Thermidor, encore influent parmi les républicains, où l’approbation la plus ferme était donnée, au coup d’État de brumaire, il écri-