Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/352

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lement substituer un despotisme à un autre ; ils traitèrent toutes ses promesses, toutes ses proclamations de comédie.

Comédie ! le mot a été retenu par Michelet, qui l’applique à toutes ces affaires d’Espagne, qualifiées par le grand historien de « détestable comédie italienne et de mauvais imbroglio » ; comédie tragique en tout cas, où tous les acteurs jouèrent un rôle odieux et répugnant, et où il y eut comme une émulation de vilenie et de trahison ; seul, comme toujours, le peuple y montra de la grandeur, du désintéressement et de l’héroïsme : c’est assez dire qu’il fut cyniquement dupé au dénouement. Nous allons essayer de retracer hâtivement les grandes lignes de ce drame, que nous comprendrons sans doute mieux si nous prenons la précaution de jeter d’abord un rapide coup d’œil sur le théâtre de l’action et de faire un peu connaissance avec les principaux personnages qui vont se trouver aux prises.

D’un voyage en Espagne, nous avons gardé une impression profonde et qui contraste singulièrement avec les riantes illusions de paysages gracieux, de gaie lumière, de sites ensoleillés que nous avions au départ. À peine a-t-on franchi les dernières pentes des Pyrénées, de l’autre côté de notre frontière, qu’on pénètre dans une vaste et interminable plaine, desséchée et lugubre, où le soleil apparaît moins comme un bienfaisant fécondateur que comme un redoutable fléau ; les yeux cherchent en vain, pour se reposer, un coin de verdure ou l’ombre accueillante de quelques arbres ; le désert s’étend indéfiniment sans une pousse d’herbe, sans que le moindre feuillage vienne en atténuer la désespérante monotonie, désert aux tons rougeâtres et sévères, qui n’a certes point l’enivrante clarté des sables africains. Et l’on roule ainsi sans jamais voir surgir ces villages coquets et attirants, ces maisonnettes paisibles qui donnent à notre terre de France un charme incomparable.

Si nous sortons de cette plaine morne et hostile, c’est pour pénétrer peu à peu dans des cahots de rochers, dans des gorges grisâtres, parmi des hauteurs médiocres aux arêtes heurtées, à l’aspect revêche, aux escarpements brusques ; pas plus que dans la plaine on n’y rencontre l’invitation hospitalière d’un gazon fleuri ou d’un ombrage protecteur ; des ronces, des épines maigres, rabougries, brûlées par le soleil constituent l’unique végétation : la chèvre la plus affamée n’y trouverait point pâture.

Les villes ne sont guère plus réjouissantes que ces campagnes de deuil, et certaines, comme Burgos ou Valadolid, donnent au touriste je ne sais quel spleen dont il a peine à se débarrasser, spleen qui se transforme vite en une sorte de malaise, fait de frissons et d’angoisses, s’il pénètre à l’Escurial, ce monument terrible, qui semble être comme un témoignage de fanatisme et de désespérance, comme une glorification de la douleur et de la mort, palais grandiose, en vérité, mais qui ne pouvait abriter que des princes misanthropes et des moines tortionnaires.

Et il faut maintenant descendre bien avant vers les provinces méridio-