Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/382

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D. — Que doit-on penser de ceux qui manqueraient à leurs devoirs envers notre empereur ?

R. — Selon l’apôtre saint Paul, ils résisteraient à l’ordre établi et se rendraient dignes de la damnation éternelle ! »

La peur du gendarme et la crainte de l’enfer, tout semblait uni pour assurer à Napoléon la fidélité de ses sujets.

Le malheur fut pour lui qu’il crut pouvoir briser, sous sa poigne de fer, la papauté rebelle. On verra plus loin qu’il se heurta ici contre une puissance autrement redoutable que les armées de toutes les coalitions. Pendant toute l’année 1805 et pour des motifs divers (nomination des évêques, refus d’annulation du mariage de Jérôme Bonaparte, occupation d’Ancône) des conflits multiples et de plus en plus violents éclatèrent entre Napoléon et Pie VII. À propos du blocus continental, la querelle s’envenima à ce point que, en 1807, le général Lemarrois prit possession des provinces de Macerata, Ancône, Urbin et Ferma, que, six mois plus tard enfin (février 1808), le général Mioliis entrait à Rome.

Une lettre adressée au prince Eugène, en juillet 1807, montre assez en quel état d’excitation se trouvait l’empereur à l’égard du pape récalcitrant, sur le point d’en appeler à la chrétienté.

« Il y avait, écrivait rageusement Napoléon, il y avait des rois avant qu’il y eût des papes. Ils veulent, disent-ils, publier tout le mal que je fais à la religion. Les insensés ! Ils ne savent point qu’il n’y a pas un coin nu monde, en Italie, en Allemagne, en Pologne, où je n’aie fait encore plus de bien à la religion que le pape n’y a fait de mal. Ils veulent me dénoncer à la chrétienté ! Cette ridicule pensée ne peut appartenir qu’à une profonde ignorance du siècle où nous sommes. Il y a là une erreur de mille ans de date. Le pape qui se porterait à une pareille démarche cesserait d’être pape à mes yeux. Je ne le considérerais que comme l’antéchrist, envoyé pour bouleverser le monde et faire du mal aux hommes, et je remercierais Dieu de son impuissance. Si cela était ainsi, je séparerais mes peuples de toute communication avec Rome, et j’y établirais une police… Que veut faire Pie VII en me dénonçant à la chrétienté ? Mettre mes trônes en interdit, m’excommunier ? Pense-t-il que les armes tomberont de la main de mes soldats et mettre le poignard aux mains de mes peuples pour m’égorger ?

« Cette infâme doctrine, des papes furibonds l’ont prêchée. Il ne resterait plus au Saint Père qu’à me faire couper les cheveux et à m’enfermer dans un monastère ! Me prend-il pour Louis le Débonnaire ? Le pape actuel est trop puissant ; les prêtres ne sont pas faits pour gouverner. C’est le désordre de l’Église que veut la cour de Rome, et non le bien de la religion. Je commence à rougir et à me sentir humilié de toutes les folies que m’a fait endurer la cour de Rome, et peut-être le temps n’est-il pas éloigné… où je ne reconnaîtrai le pape que comme évêque de Rome, comme égal et au même