Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/396

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n’eût-elle pas été une lamentable défaite de la Russie, la ruine de son prestige et du passé de victoires sur lequel elle avait fondé sa domination ?

Dès lors, en présence de telles éventualités, Alexandre, soucieux de les dissiper à jamais, mit tout en œuvre pour obtenir de Napoléon que la Pologne ne fût point rétablie. L’empereur consentit à en donner, par l’intermédiaire de Caulaincourt, les formelles assurances. Ces déclarations ne calmèrent point les inquiétudes d’Alexandre, qui décida de devancer l’effet des projets agressifs qu’il imputait à Napoléon, non sans quelque raison, par de formidables concentrations de troupes dans les régions voisines du grand-duché de Varsovie et, notamment, en Lithuanie. Prévenu des agissements du czar par les Polonais mis au courant des instructions données par Alexandre à ses armées, Napoléon répondit par des envois de renforts à Dantzig, à Hambourg, où furent concentrés d’immenses approvisionnements ; il prévint en même temps ses alliés et leur enjoignit de mettre sur pied le contingent de leurs forces. Les troupes d’Italie se préparèrent, les troupes polonaises revinrent d’Espagne pour se mettre à nouveau à la disposition de l’empereur ; les princes de la Confédération du Rhin furent mis dans l’obligation démobiliser sans retard leurs corps d’armée. Napoléon brûlait de communiquer à ceux qui l’entouraient les ressentiments dont il était animé contre la Russie : ses coutumes de brusquerie impérieuse, sa violence naturelle et ses énergies perpétuellement belliqueuses l’emportèrent bientôt sur l’attitude apparemment pacifique qu’il avait affecté de garder jusque là. Au colonel Tzernitcheff, envoyé par le czar pour se renseigner sur les préparatifs intérieurs et les armements décidés par l’empereur. Napoléon faisait, en termes violents, l’exposé des forces dont il disposait et, tout en protestant du désir qu’il éprouvait de maintenir l’entente de la France et de la Russie, il laissait comprendre qu’il ne céderait point aux instances dont il était l’objet, et qu’il saurait, au besoin, répondre par la force aux réclamations du czar concernant l’Oldenbourg et la Pologne. Malgré les instructions pressantes de son maître, et les démarches qu’il tentait auprès de l’empereur pour faire aboutir sa mission, Tzernitcheff ne put obtenir de Napoléon que de vagues promesses relatives à l’indemnité que le czar exigeait pour l’audacieuse réunion de l’Oldenbourg. L’échec de Tzernitcheff, sur ce point, ne fit qu’indisposer plus profondément Alexandre ; les renseignements secrets qu’il avait pu se procurer, par l’intermédiaire de cet envoyé, et d’un certain Michel, employé au ministère de la Guerre, gagné à prix d’or par l’aide de camp russe, l’informèrent en outre des ressources et des desseins de Napoléon, il se hâta donc de compléter ses propres armements et se prépara à une résistance habile, patiente, singulièrement efficace, et qui devait déterminer un peu plus tard l’effroyable ruine de la Grande Armée.

À peu près vers la même époque, certains changements furent introduits par Napoléon dans l’organisation diplomatique, lesquels, comme on pouvait