Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/445

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à travers certaines contrées de la France, promenade toute politique, et qui n’avait d’autre but que de réchauffer dans les esprits la passion patriotique singulièrement lassée par tant de calamités. À l’instar du Sénat, dont on ne put jamais égaler la platitude et la passivité dans ces phases douloureuses de notre histoire, les municipalités prodiguèrent encore un enthousiasme officiel qu’il eût été fort dangereux pour elles, d’ailleurs, de ne point témoigner. Pendant ce temps, Napoléon, plus que jamais résolu à provoquer une rencontre décisive, dont il escomptait en secret l’issue à son profit, acheminait rapidement ses troupes vers les plaines de Leipsig, où s’étaient déjà concentrées les armées des alliés. Celles-ci, en effet, qui depuis longtemps combinaient leurs mouvements, avaient sur les troupes de Napoléon l’avantage du nombre et de la cohésion ; moins éprouvées, elles allaient, dans un immense effort, écraser, en se resserrant implacablement, l’armée française surprise entre leurs masses infranchissables comme entre les aciers d’un étau. Les éléments les moins homogènes s’étaient fondus dans l’innombrable armée des alliés ; faut-il, à ce propos, rappeler, comme l’ont fait tous les historiens qui nous ont précédés, l’étonnement de nos vieilles troupes à la vue de certains contingents étrangers, tels que les Tartares et les Baskirs accourus de l’Asie centrale et de la Sibérie, étrangement accoutrés et pourvus d’armes qui ne laissaient pas de ressembler fort aux instruments défensifs dont usaient les hommes de la préhistoire.

En regard de sa propre armée, forte d’environ 150 000 hommes. Napoléon trouva, le 16 octobre, l’armée de Silésie et l’armée de Bohême de beaucoup supérieures en nombre. À 9 heures du matin, la canonnade commença de part et d’autre, tandis que l’armée de Bohême prenait l’offensive ; la lutte se poursuivit avec un effroyable acharnement jusqu’à la tombée du jour. Poniatowski et Murat se distinguèrent par une intrépidité et une précision de vues qui provoquèrent l’évacuation du terrain par les alliés. Ce n’étaient là, hélas ! que des succès sans conséquence ; près de 50 000 morts ou blessés jonchaient le sol et, dans cette épouvantable hécatombe, les nôtres figuraient environ pour la moitié.

Schwartzenberg, repoussé par Murat à Waschau, se retire, mais le lendemain, l’armée du Nord, sous Bernadotte et Benningsen, forte de 110 000 hommes, vint grossir les troupes coalisées. Il est facile de prévoir alors l’imminence du désastre. En vain Napoléon, qui saisit l’étendue du péril, fait offrir par un prisonnier autrichien, le général comte de Merfeld, un armistice qu’il prétend être le prélude de nouvelles négociations ; il confie à l’envoyé ses pacifiques espérances et le prie d’insister pour l’obtention de l’armistice, dont il envisage à part soi l’inappréciable bénéfice : la possibilité de sortir de l’impasse où les troupes de la coalition l’ont acculé. Mais les alliés ne devaient pas être dupes de ces propositions dont l’empressement était singulièrement intéressé : ils ne répondirent pas à Napoléon.