Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/483

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n’eût pas été bon pour les surveiller, il ne me parlait pas d’eux, leur était tout acquis.

Mme de Bouille était une de mes femmes de police, elle me faisait chaque jour des rapports. Elle est à présent chez la duchesse de Berry, et je suis sûr qu’elle informe le roi de tout ce qui s’y dit et s’y passe. De pareilles gens sont bien méprisables.

« Cette lecture des lettres à la poste exige un bureau particulier : les gens qui y sont employés sont inconnus les uns des autres ; il y a un graveur qui y est attaché et il a sous la main toutes sortes de cachets tout prêts. Les lettres chiffrées, dans quelque langue qu’elles soient, sont déchiffrées, toutes les langues traduites ; il n’y a pas de chiffre introuvable, avec quarante pages de dépêches chiffrées. Cela me coûtait six cent mille francs.

« C’est Louis XIV qui a imaginé ce système. Louis XV s’en servait pour connaître les amourettes de ses sujets. Je ne saurais dire au juste quels services cela m’a rendus, mais j’estime que cela nous aidait beaucoup ; aussi, un jour où je reprochais à Fouché que sa police ne savait rien, il put me répondre : « Ah ! si Votre Majesté me donnait le paquet de la poste, je saurais tout ! »

Napoléon était injuste pour sa police : il put cependant en constater l’efficacité lors de la première conspiration du général Malet, dont la répression va nous donner la mesure du respect que montra le régime impérial pour les libertés garanties par la Constitution.

Cela se passait au mois de juin 1808 : une poignée de républicains, de ceux qui n’avaient point encore perdu la ferveur des traditions révolutionnaires, résolurent de réveiller la conscience de la France, si vite oublieuse, si longtemps engourdie. L’âme du complot était un vieux jacobin nommé Eve Demaillot, qui trouva de zélés compagnons de lutte. C’étaient Harent, Guyot et Ricord, anciens députés à la Convention ; Baude, Blanchet, Gariot, Delavigne, Baudemont, Baunot, Jacquemont, Liébaut, Rigomer, Bazin, Suidre, Lemare, Poilpée. Il faut garder la mémoire de ces noms que l’histoire, souvent ingrate, a laissés dans la pénombre pour ne se rappeler que le général Malet. Le plan de la conspiration était mûrement étudié, les détails soigneusement prévus ; une proclamation était rédigée qui devait être envoyée par Malet dans tous les régiments de l’armée française :

« Soldats, y disait le général, nous n’avons plus de tyran ! Ivre d’orgueil et transporté de folie, c’était peu pour lui d’avoir, par des guerres perfidement suscitées, couvert le Levant et le Nord de débris, de sang et de deuil, il se précipite vers le Midi, trompe, trahit, fait prisonnier notre allié le plus fidèle et, violant tous les droits de l’hospitalité, il accable, assassine une nation confiante et généreuse. Mais dans son désir insensé il a causé lui-même sa perte. Le Sénat, en proclamant la déchéance du tyran et l’abolition de sa ridicule dynastie, a répondu à la juste impatience et au vœu fortement prononcé