Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/525

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En 1810, il n’existait encore qu’une machine à haute pression, et une quinzaine à basse pression, employées pour élever l’eau. Le premier emploi d’un moteur à vapeur pour filature date de 1812, à Mulhouse. En définitive, la machine à vapeur ne se révélera officiellement qu’à l’Exposition de 1819, où une médaille d’argent fut attribuée, pour leur présentation, à deux constructeurs de Saint-Quentin.

Mais pourtant nous voici déjà en pleine invasion du machinisme : à la quenouille et au rouet s’est substitué le métier à tisser ; à l’atelier va succéder la manufacture ; l’ouvrier va tomber sous la domination du capitaliste, et le prolétariat industriel est constitué par la réunion des travailleurs jadis isolés.

Chaptal est frappé de ce changement, qui écrit les lignes caractéristiques que voici :

« Les machines, qui remplacent aujourd’hui la main de l’homme dans presque toutes les opérations de l’industrie manufacturée, ont opéré une grande révolution dans les arts : depuis leur application, on ne peut plus calculer les produits par le nombre des bras employés, puisqu’elles décuplent le travail, et l’étendue de l’industrie d’un pays est aujourd’hui en raison du nombre des machines et non de la population. »

Et comme il sent autour de lui une sorte d’ appréhension sur les conséquences d’une si brusque transformation économique, Chaptal s’exprime sans détours sur cette fatalité inéluctable ; il ne s’attarde guère à déplorer le chômage ou l’abaissement des salaires :

« Les machines, dit il, en diminuant le prix de la main-d’œuvre, font baisser celui du produit, et la consommation augmente dans une proportion plus forte que celle de la diminution des bras. D’ailleurs, il n’est pas au pouvoir d’une nation de ne pas adopter les machines dont on se sert ailleurs. »

Toutefois, cette invasion du machinisme n’est pas sans inquiéter le président de la Société pour l’encouragement de l’industrie nationale, et s’il se console de la misère qui en peut résulter, il envisage avec moins d’indifférence les conséquences sociales des agglomérations industrielles.

« Lorsque, dit-il, la guerre ou des prohibitions ferment des débouchés aux produits industriels, on voit avec douleur des réunions d’hommes inactifs souffrir, s’agiter, et, trop souvent, troubler le repos public. Il eût été à désirer, sans doute, qu’au lieu de former ces agglomérations d’individus pour exploiter quelque genre d’industrie, on les eût laissés disséminés les campagnes, où la fabrication n’eût été qu’un utile auxiliaire des travaux de la terre. »

Mais on ne remonte pas le cours de l’évolution, et Chaptal, si effrayé qu’il fût des phénomènes économiques dont il était témoin, ne put s’empêcher d’en constater les résultats.

En 1812, six ans après l’Exposition dont nous venons d’examiner la physio-