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penses devaient, aux termes de l’article 45, être arrêtés annuellement par une loi : garantie illusoire, puisque nous savons que le gouvernement proposait cette loi et qu’elle devait être sans modification. Par conséquent, nous retrouvons encore ici les mêmes procédés de mensonges que nous avons mis en lumière précédemment. Seule, dans tout l’acte qui nous occupe, la liberté individuelle est entourée de garanties (art. 76-82), toutes les autres sont violées ou même — et c’est le cas de la liberté de la presse et de la liberté de pensée — il n’en est pas question.

C. — LA FIN DU CONSULAT PROVISOIRE

La Constitution fut proclamée le 24 frimaire dans les arrondissements de Paris, et aussitôt elle devint le sujet de toutes les conversations. « Le jugement qu’on porte de sa rédaction, écrit le Diplomate[1], est partout le même, à peu près, que celui porté par le rédacteur du Citoyen français : Cette rédaction, dit-il, nous a paru faible, un peu hâtée ; en la lisant, on regrette de ne pas voir cette série de grandes conceptions auxquelles la Constitution nouvelle doit son origine. » Il est certain qu’il paraît assez étrange de voir une charte[2] aussi importante réduite à quatre-vingt-quinze articles purement réglementaires. Aucun des grands principes sur les droits des peuples, sur les devoirs du gouvernement, sur la liberté civile, politique et religieuse, n’y sont avoués ou proclamés. C’est un moyen certain d’empêcher qu’on en tire des conséquences fausses et abusives… » La conclusion est déconcertante, mais la critique existe, et elle est formulée comme représentant un avis général. Bonaparte allait-il permettre que le public s’égarât dans des discussions qu’il estimait stériles ? Lui qui avait perdu patience au cours des débats devant les commissions et qui avait brusqué leurs votes, il était peu probable qu’il consentît à laisser les citoyens critiquer longtemps l’œuvre qu’on leur présentait.

Cependant l’art. 95 de la Constitution portait qu’elle devait être acceptée du peuple français avant d’entrer en vigueur. C’était de la sorte déjà que l’on avait procédé en 1793 et en l’an III, et l’acceptation donnée à ces deux dates rapprochées pour des textes absolument dissemblables était la preuve que l’on pouvait en toute tranquillité attendre le résultat du plébiscite. Mais, en 1793, en l’an III les votes avaient porté purement et simplement sur un texte constitutionnel, tandis qu’en l’an VIII, il y avait des noms inscrits dans la Constitution et l’on demandait au peuple d’acclamer ces noms. Un refus était-il possible ? La négative est certaine, mais il est curieux de rechercher ce que les contemporains pensaient qu’il pût advenir si un tel refus s’était produit. C’est très simple : « Cette non acceptation donnerait à Bona-

  1. 25 frimaire
  2. On avait songé à appeler de ce nom la Constitution de l’an VIII. Voyez revue la Révolution française, t. XLIII, p. 179.