Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/581

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« L’administration des États du Boulonnais cherchait à exciter des améliorations dans l’agriculture : quelques privilèges sollicités par elle furent accordés aux habitants : l’exemption de la milice, de la gabelle, des tailles, etc. ; un octroi très productif, des dépenses sagement ordonnées, un clergé riche : tous ces avantages pouvaient procurer aux industrieux les moyens de former d’utiles entreprises et de faire faire des progrès à l’art qui est le père de tous les autres, si l’ignorance, les préjugés, l’habitude n’étaient pas placés partout pour arrêter les élans de l’esprit humain et suspendre les efforts du génie.

« Malgré les exemples donnés par nos voisins les cultivateurs anglais, malgré les publications des ouvrages des Rozier, Parmentier, Tessier et autres savants agronomes, chez presque tous les fermiers et propriétaires cultivateurs de l’arrondissement de Boulogne, un mauvais système de culture et d’économie rurale dirigeait, avant la Révolution, la plupart des opérations de l’agriculture : aucune prairie artificielle ne se faisait remarquer ; la médiocrité des pâturages naturels, le régime vicieux des bestiaux, la mauvaise application plutôt que le défaut de capitaux, la brièveté des baux de trois, six ou neuf années, l’usage assez général de changer fréquemment de fermiers pour multiplier les pots-de-vin, les habitudes routinières des cultivateurs, les jachères triennales, l’insuffisance des engrais, le mauvais état des chemins vicinaux, la dégradation des grandes routes : telles étaient avant 1789 les entraves qui s’opposaient aux progrès de l’agriculture. Ces obstacles subsistèrent encore quelques années, et le cours forcé du papier monnaie, l’inégale répartition des charges publiques, la hausse subite et disproportionnée du prix des salaires et, par conséquent, des denrées, la disette de bras occasionnée par les levées militaires, les réquisitions de chevaux, le transport et l’accumulation des propriétés rurales dans les mains de nouveaux acquéreurs dont la plupart se sont empressés de faire d’immenses abatis, d’épuiser leurs terres et leurs fermiers ; toutes ces causes et d’autres encore, produites par la Révolution, ont dû concourir à contrarier, pendant plusieurs années, l’influence que l’affranchissement de la terre et de la charrue devait exercer sur l’agriculture.

« Si l’on ajoute aux obstacles que nous venons d’indiquer ceux produits par les éléments et les maladies, la sécheresse de 1794, la disette de 1795 et 1796, les rigueurs de plusieurs hivers, en particulier de ceux de 1789, 1794 et 1799 ; les inondations et les épidémies de 1800, les épizooties de la même année, l’ouragan de 1801, etc. ; enfin, si l’on calcule les contrariétés que les cultivateurs et les propriétaires ont dû éprouver de la réunion de plus de 100 000 hommes de toutes armes dans ce pays pendant deux ans, on pourra se faire une idée de tout ce qu’il a coûté d’efforts à ses habitants pour réparer des pertes qu’ils n’avaient pu prévoir et dont il n’était pas en leur pouvoir d’empêcher les effets désastreux.