Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/596

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Maison, les échecs successifs de Soult, vigoureusement attaqué par Wellington et contraint de s’enfermer dans Toulouse. L’empereur, que tant d’infortunes eussent dû désespérer, ne paraissait cependant pas croire la partie perdue ; il remontait les uns, brusquait les autres, élaborait des plans d’attaque, déployait une inconcevable activité. En même temps, il renouvelait à Cambacérès et à son frère Joseph, qu’il avait investi, au moment de son départ, des fonctions de lieutenant-général de l’Empire, les injonctions les plus formelles concernant les travaux de défense de Paris ; il leur renouvelait, sans y ajouter beaucoup de foi, les assurances de la fortune que devaient à nouveau connaître ses armées, et il ne manquait pas en même temps, fort habilement d’ailleurs, de stimuler vivement leur activité pour qu’ils ne fussent point surpris par la soudaine réalisation des plus dramatiques éventualités.

De leur côté, les alliés, enthousiasmés par leurs succès, avaient résolu de ne point s’arrêter qu’ils ne se fussent installés en maîtres dans la capitale : la marche sur Paris avait été décidée au lendemain de la bataille de La Rothière. On avait incontinent adopté le plan de marche suivant : l’armée de Blücher, à laquelle de nouveaux contingents fort importants venaient de se joindre, s’engagerait le long de la Marne ; l’armée de Bohême, sous Schwartzenberg, suivrait le cours de la Seine. Tout d’abord Blücher, qui comprenait fort justement tout l’intérêt que pouvait avoir pour les armes des alliés une marche rapide et précipitée, se hâta, tandis que Schwartzenberg, circonspect à l’excès, avançait avec solennité. Le 6, ce dernier finit par occuper Troyes, d’où l’empereur s’était retiré sans pertes, mais au milieu d’une stupeur inconnue jusque là. Cependant Napoléon, dont rien n’a pu atténuer l’ardeur, observe scrupuleusement les moindres mouvements de l’armée ennemie ; pour éviter une rencontre brillante, assurément, mais peut-être funeste, il n’agira qu’à coup sûr. L’occasion ne se fait guère attendre. Blücher disjoint ses corps d’armée ; Napoléon quitte Nogent le 9 février et donne ses instructions à Victor, Oudinot, Marmont et Grouchy qui doivent agir avec lui de concert : des mouvements d’une fort habile stratégie sont combinés et exécutés le 10. Un corps russe appartenant à l’armée de Silésie est écrasé dans le bois de Champaubert ; plusieurs milliers de prisonniers restent entre nos mains ; 1 500 morts gisent sur le champ de bataille, et des trophées de toute nature attestent l’éclat de cette heureuse et soudaine victoire.

Le lendemain, Napoléon prévenu du mouvement rétrograde du corps de Sacken et d’York, gagne précipitamment Montmirail, où il les surprend. La victoire est plus décisive encore que celle de la veille, tant les notres déploient d’impétueuse ardeur. Près de 5 000 hommes sont tués ou faits prisonniers ; les coalisés se retirent en désordre, mais Napoléon s’élance à leur poursuite, et, le lendemain, à Château-Thierry, taille en pièces le corps d’armée d’York.

Les Français ne bougèrent pas de Château-Thierry durant toute la jour-