Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/67

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là que toutes les mesures prises par Bonaparte avant cet arrêté, ses coups d’État, ses violences et ses fraudes doivent être considérées comme préparant la venue du régime despotique. Au contraire, au 17 nivôse, Bonaparte est à la tête du gouvernement, il peut agir et son premier acte est un acte de despotisme : il séquestre, pour ainsi dire, l’opinion publique à son seul profit et cela par un simple arrêté émanant de sa volonté. La liberté d’écrire a bien été la première sacrifiée à l’ambition parvenue mais non assouvie de l’aventurier corse.

La province n’était pas visée par l’arrêté du 27 nivôse, mais ce ne fut point pour se montrer libéral vis-à-vis d’elle que Bonaparte ne s’en occupa pas. C’est simplement parce que l’administration provinciale devait faire l’objet d’une loi organique qui placerait, à la tête de fractions du territoire, des représentants directs du Premier Consul avec toute autorité pour prendre, vis-à-vis des journaux, dans leur ressort administratif, telle mesure qu’il leur conviendrait. Et c’est ainsi que nous sommes conduits à étudier la grande loi visant l’organisation administrative connue sous le nom de loi du 28 pluviôse an VIII.

C’est par cette loi que Bonaparte « complète » vraiment la Constitution de l’an VIII, c’est-à-dire que par elle il affirme nettement la tendance contenue dans les 95 articles de présider au rétablissement de l’autorité absolue. Si la Constitution avait été achevée, si, au lieu de brusquer les événements, le premier consul avait laissé les commissaires discuter, c’est le texte constitutionnel qui aurait porté lui-même tous les détails de l’organisation administrative donnée à la France. Au lieu de cela, il n’était sorti des délibérations qu’une série d’articles confus et incomplets et Bonaparte, partant de leur confusion et de leur insuffisance, a établi un projet de loi complémentaire qui n’est autre chose que la mise à exécution d’un formidable plan de domination par la centralisation de toute la vie politique intérieure du pays entre ses mains. Nous disons centralisation parce que c’est le terme caractéristique de cette œuvre administrative qui, nous allons le montrer, ramène à un rouage initial — le premier consul — tous les rouages en mouvement sur l’étendue de la nation pour assurer les différents services. L’étude en est d’autant plus féconde et utile que la loi du 28 pluviôse an VIII est encore aujourd’hui à la base de notre organisation administrative régionale.

Théoriquement, comment pouvons-nous en dégager les principaux caractères ? En faisant ressortir que, sur deux points essentiels, la loi de pluviôse s’oppose aux constitutions révolutionnaires :

1° Les intérêts généraux deviennent prépondérants et l’administration relègue au second plan le souci des intérêts régionaux ;

2° Suppression du système électif.

L’existence des intérêts régionaux et la nécessité de lutter dans chaque région pour les protéger n’est pas une invention des économistes ou des poli-