Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/76

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somme, contentait tout le monde ; mais il ne comprenait pas qu’après l’avoir formulé, on le violât tout aussitôt. C’est ce qui explique la faveur avec laquelle furent accueillies les premières mesures de Bonaparte, tendant à assurer la liberté des cultes.

Il commença par faire remettre en liberté nombre de prêtres que le Directoire avait fait emprisonner, les uns pour avoir prêté tous les serments, les autres pour avoir cessé leur ministère avant le 7 vendémiaire IV. Le 7 nivôse voit, par trois arrêtés, les églises ouvertes à nouveau à leurs anciens possesseurs, le serment des prêtres remplacé par cette déclaration peu compromettante : « Je promets fidélité à la Constitution », et le décadi déchu de son privilège de faire seul ouvrir les édifices du culte. Le même jour, une proclamation du gouvernement consulaire portait à la connaissance des Vendéens l’affirmation que, désormais, ils auraient toute liberté de culte, que leurs prêtres diraient la messe comme il leur plairait dans les églises remises à la disposition des communes. Tout ceci, nous le répétons, était absolument conforme au principe « révolutionnaire » de la séparation. C’est pourquoi l’approbation fut à peu près unanime. Les croyants, à Paris, se portèrent vers les églises réouvertes, et un rapport de police nous dit que « plusieurs se serraient la main et s’embrassaient[1] ; les non-croyants raisonnèrent comme l’Ami des Lois[2] : « On rétablit la liberté des cultes. On fait une chose bien sage, absolument conforme à la politique et à la saine politique. Je ne crois pas un mot des dogmes ridicules de la religion chrétienne, mais je ne puis exiger la même incrédulité de tous les Français… Soyez donc indulgents envers les opiniâtres, les aveugles et les royalistes : Si vous les haïssez, n’est-ce pas assez les punir que de leur laisser leurs prêtres ? » La cessation des persécutions, voilà donc en somme ce que voulait la nation[3] et dès l’instant où le nouveau gouvernement montrait son intention d’agir dans ce sens, on était satisfait. M. Vandal[4] paraît persuadé que la joie fut considérable, surtout parce que les cloches se remirent en branle. « Leur voix grave et claire s’éveille dans le silence des campagnes, pour rappeler Dieu à l’homme penché sur le sillon et bercer son labeur… Écoutez, ce n’est d’abord qu’un tintement timide, craintif, à peine perceptible, s’élevant çà et là ; puis le concert des cloches s’enhardit ; elles sonnent à pleine voix, les révoltées ; sur de vastes espaces, elles se répondent d’un village à l’autre, prolongent leurs joyeuses redondances. Écoutez, c’est le réveil, c’est la résurrection, c’est l’insurrection des cloches. » Hélas ! la voix harmonieuse de M. Vandal chantant les cloches eût encore été

  1. Rapport du bureau central, 13 nivôse, cité par Vandal, op. cit. Est aussi dans Aulard, Paris sous le Consulat, p. 77.
  2. 12 nivôse.
  3. « Le vœu général de la nation se bornait à ce que toute persécution cessât désormais contre les prêtres et que l’on n’exigeât plus d’eux aucune espèce de serment, enfin, que l’autorité ne se mêlât en rien des opinions religieuses de personne. » Mme de Staël citée par Debidour. op. cit. p. 185.
  4. op. cit., p. 564.