Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/80

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ont le désir de détruire cette nouvelle secte. Décadi dernier les agents du fanatisme ont employé 50 enfants à l’exécution de leur projet. Ces enfants se sont portés à l’église Saint-Gervais, ont brisé tout ce qu’ils ont trouvé de relatif au culte des théophilanthropes, ont porté les débris dans la rue et les ont brûlés en criant : « À bas les Jacobins ! ».— Les coupables ne furent pas punis et l’on en a la raison si l’on songe que le fait se passait peu après l’attentat du 3 nivôse, c’est-à-dire en pleine réaction. Bonaparte se préoccupe peu de défendre des « anarchistes » ! Le 12 vendémiaire an X (4 octobre 1801), un arrêté consulaire enlevait aux théophilanthropes le droit de se réunir dans les églises et dès lors leur culte, conservé seulement dans quelques familles, disparut peu à peu.

Le culte décadaire ne fut, pendant les dernières années de son existence, qu’un culte de fonctionnaires. Ils assistaient par ordre à ses cérémonies et s’y trouvaient seuls ou à peu près, même avant l’arrêté du 7 thermidor an VIII qui rendit le décadi obligatoire pour eux seulement. Déjà, en nivôse, un rapport général de police déclare que « cette belle et utile institution semble anéantie », et il ajoute : « Sans les mariages et les familles qu’ils attirent, les temples seraient presque totalement déserts. » Or cette cause d’animation ou de vie pour la « religion civile » disparut elle-même à la suite d’un autre arrêté du 7 thermidor supprimant l’obligation de ne se marier que le décadi. Il convient de rappeler aussi que la loi du 3 nivôse an VIII, qui réduisit à deux seulement les fêtes nationales, avait déjà porté atteinte au culte décadaire. Mais il ne faut pas voir dans les mesures qui ont restreint ce culte des actes d’autorité heurtant de sincères croyances. Le public ne s’en occupait plus et il en était de toute la France comme de Bordeaux d’où le préfet écrivait au ministre[1] : «… Je ne dois pas vous laisser ignorer qu’à mon arrivée dans ce département j’ai trouvé un grand relâchement de la part des citoyens et des autorités sur la célébration des décadis et un grand empressement à célébrer les anciennes fêtes… J’eus, avant mon départ de Paris, quelques explications à cet égard avec les consuls. On me répondit que l’intention du gouvernement n’était pas de forcer les citoyens à travailler ou à se reposer à des jours fixes ; qu’il fallait leur laisser la plus grande liberté sur ce point ; que l’expérience avait prouvé que tous les efforts faits pour maintenir la célébration des décadis avaient été inutiles ; que les habitudes de la grande majorité de la nation s’y opposaient costamment. J’ai dû, par conséquent, fermer les yeux sur ce qui se pratiquait… ». Les cérémonies décadaires ainsi amoindries et presque oubliées ne disparurent cependant tout à fait qu’avec le régime de la séparation, c’est-à-dire au moment où le Concordat fût mis en œuvre.

L’Église dite constitutionnelle comptait, à la veille du pacte conclu avec

  1. Lettre de Thibaudeau le 3 prairial an VIII. Archives nationales, F1c iii, Gironde 8. Publiée par Aulard, Histoire politique de la Révolution française p, 729.