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nistres du culte. Il vient d’être donné à l’église Saint-Gervais un ornement qui a coûté 1 600 francs ». Avec l’argent, l’Église romaine dispose d’un personnel nombreux qui s’accroît chaque jour par l’apparition nouvelle de quelque prêtre, la veille caché ou emprisonné. Tous se ruent littéralement sur la France comme à une nouvelle croisade. L’évêque de Saint-Papoul passe d’une église dans l’autre en se faisant annoncer plusieurs jours à l’avance, et il prêche « sur la nécessité d’un seul culte, du culte romain[1] ». Pendant ce temps, « les intolérants » se rendent dans les réunions de théophilanthropes ou d’autres adeptes de sectes quelconques et les troublent, les attaquent.

L’Église romaine n’est pourtant pas « une ». Elle se partageait en deux camps : les ralliés au gouvernement de la République groupés autour de Sicard et Emery, les royalistes intransigeants à la suite des évêques qui continuaient à espérer le retour de Louis XVIII reconnu par le pape Pie VIL

Si nous nous sommes étendus sur la situation des divers cultes en France à la veille du Concordat, c’est afin de bien établir le terrain de discussion sur lequel maintenant nous allons avoir à nous placer. Nous nous heurtons souvent à des gens qui, tout en étant loin d’approuver Bonaparte, sont persuadés que par le Concordat il a rendu la paix religieuse à la France. C’est le cliché. Or cela est faux, radicalement faux. Un historien clérical et césarien, M. Chénon[2], nous parle après tant d’autres de « l’anarchie » où se trouvait la France quand Bonaparte prit le pouvoir et il lui fait rapidement établir le Concordat. Dans un livre très récent[3] — qui a permis à M. Ribot de nous livrer cette pensée, sans doute profonde et neuve, qu’en matière religieuse « il faudra en revenir à une politique de principes »[4] — M. Noblemaire s’arrête, lui aussi, au 18 brumaire et passe brusquement au Concordat. Avant le 18 brumaire, ce sont les lamentations et les gémissements ; après le Concordat, c’est le bonheur, la félicité. Et tout cela pour prouver que le régime de la séparation — « la comédie de la séparation[5] » — a valu au catholicisme « les jours les plus sombres qu’il ait jamais vécus en France ». Mais enfin il faudrait s’entendre : entre le 18 brumaire et le Concordat les catholiques ont-ils été libres, les protestants ont-ils été libres, et les théophilanthropes, les juifs, les constitutionnels, les décadaires ont-ils été libres ?… « Jamais il n’y eut autant d’autels debout et célébrés qu’à la veille du Concordat[6] ». Il faut croire même qu’il y en avait trop pour la paix et la liberté telles que la rêvent les partisans de l’Église romaine ! Mais c’est notre rôle à

  1. Rapport de la préfecture de police au 10 thermidor an VIII, Arch. nat. AF iv 1329.
  2. Hist. Gén., Lavisse et Rambaud, t. IX. ch. viii.
  3. G. Noblemaire, Concordat ou Séparation.
  4. Lettre d’Introduction.
  5. P. 147.
  6. Aulard, Hist. polit, de la Rév. fr., p. 732.