Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/86

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bien ordonnée et affermir la base des bons gouvernements, je vous assure que je m’appliquerai à la protéger et à la défendre dans tous les temps et par tous les moyens… Nulle société ne peut exister sans morale, il n’y a pas de bonne morale sans religion, il n’y a donc que la religion qui donne à l’État un appui ferme et durable… Quand je pourrai m’aboucher avec le nouveau pape, j’espère que j’aurai le bonheur de lever les obstacles qui pourraient s’opposer à l’entière réconciliation de la France avec le chef de l’Église… » Le 29 prairial, après Marengo, il assiste à un Te Deum célébré à Milan. Mais notons qu’à Paris, pour calmer les esprits, on déclara que si le premier consul avait assisté en Italie à cette cérémonie religieuse, c’était en vertu de l’usage local d’une religion prépondérante[1]. Au Te Deum de Notre-Dame, le 23 juin, les consuls ne parurent pas et il s’y produisit des incidents qui montrent que la police avait raison de dire que l’annonce seule de cette réunion avait « monté les têtes[2] ».

Le 26 juin 1800, le cardinal Martiniana, évêque de Verceil, écrit au pape : «…Hier, en retournant à Paris et en s’arrêtant pendant quelques heures, il [Bonaparte] me prit à part, dans une conférence intime, et me communiqua son ardent désir d’arranger les choses ecclésiastiques de la France… et il me pria instamment de me charger de la négociation entre Votre Sainteté et lui-même…[3] »

Cette lettre du cardinal Martiniana, qui fut pour le pape, selon M. Mathieu, « l’arc-en-ciel dans l’orage », marque le début des négociations qui ont abouti au Concordat.

Pie VII — cardinal Chiaramonti, évêque d’Imola — était pape depuis le 14 mars 1800, et ce, grâce à l’entente entre Maury, représentant de Louis XVIII à Rome, et le cardinal Consalvi, secrétaire du conclave. Au moment de son élection, Pie VII voyait ses États à la disposition des Autrichiens et, selon la constante politique vaticane, il était tout disposé à chercher des alliés dans n’importe quel pays contre la très catholique Autriche qui menaçait de le mettre en tutelle et ne lui permettait même pas de traverser les légations pour aller à Rome[4]. Dans ces conditions, il répondit avec enthousiasme aux avances du premier consul, vainqueur de l’Autriche, et ne négligea pas l’occasion qui lui permettait de si bien concilier sa piété et ses intérêts… Martiniana ne disait-il pas dans sa lettre que Bonaparte promettait d’employer tout son pouvoir pour rendre au pape tous ses États ?…

Pie VII, tout en affirmant à l’empereur d’Autriche, à Paul Ier et à Louis XVIII

  1. Rapport de police du 5 messidor an VIII, publié par Aulard, Paris sous le Consulat, t. I, p. 447.
  2. Rapport de la préfecture de police, Id.
  3. Cette lettre a été publiée par Mathieu, O, c, p. 3.
  4. Le conclave avait eu lieu à Venise (1er décembre 1799-14 mars 1800). Pie VII ne rentra à Rome que le 3 juillet. Pour l’histoire du Concordat, nous renvoyons, d’une façon générale, à l’ouvrage de d’Haussonvile, L’Église romaine et l’Empire, et Boulay de la Meurthe, Documents sur la négociation du Concordat.