Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/91

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de se rendre près de Bonaparte qui ne cessait de l’accuser de mauvaise foi, partit persuadé qu’il courait au martyre. Il arriva à Paris le 20 juin, fut reçu solennellement par le premier consul entouré des ministres et des grands personnages de l’État. Dans le récit qu’il donne de l’entrevue[1], Consalvi fait ses efforts pour donner à l’entretien un certain caractère enjoué et aimable ; or, il y a deux raisons de croire qu’il n’en fut pas ainsi.

D’abord Bonaparte, qui voulait en finir avec le pape, venait de lui adresser un ultimatum, il n’avait pas accoutumé d’être particulièrement aimable avec ceux qui lui résistaient ; en outre, ce qu’il dit à Consalvi dans une réunion toute d’apparat, formée de gens hostiles aux négociations, n’a rien d’agréable pour l’envoyé du pape, puisque c’est une mise en demeure de signer le Concordat dans les cinq jours ! Mais il y a mieux : d’après Consalvi, c’est à la fin de l’entretien, après les observations présentées par le cardinal, que Bonaparte quittant le ton sérieux du début parla « avec une figure et des expressions… obligeantes, courtoises et même enjouées… » Et voici, bien entendu toujours selon le récit de Consalvi, comment la conversation se termina : « Vous signerez dans cinq jours ou tout sera rompu et j’adopterai une religion nationale… Certainement je n’accorderai plus aucun délai. » Un signe de tête et ce fut tout. Voilà ce que le prélat appelle de la courtoisie, de l’enjouement !

D’ailleurs, il lui fallut bientôt comprendre qu’on ne le laisserait plus tergiverser. La négociation qui reprit dura trois semaines au lieu de cinq jours, c’est vrai, mais du côté français on procéda par ultimatum, le seul moyen d’aboutir avec une diplomatie aussi habituée à la fausseté, au mensonge et aux dérobades que l’est la diplomatie romaine. Pendant que le temps s’écoulait, l’assemblée des évêques constitutionnels tenait à l’église Notre-Dame le concile national dont nous avons déjà parlé, Grégoire venait conseiller Bonaparte aux Tuileries. Consalvi, et c’était ce que voulait le Premier Consul, frappé par tous ces faits et par l’état de l’opinion, craignant de voir vraiment les négociations concordataires rompues pour le plus grand profit de l’Église constitutionnelle, abandonna progressivement la plupart des prétentions de la papauté. Le 13 juillet, à l’hôtel de Joseph Bonaparte, la discussion finale s’engagea entre Consalvi, Spina, Caselli, Bernier, Joseph Bonaparte et Cretet. Elle dura de huit heures du soir à quatre heures de l’après-midi, et aboutit à certaines modifications de texte avantageuses pour Rome. En particulier, Consalvi, qui, jusqu’au dernier moment, avait refusé de laisser soumettre en quelque manière que ce fût l’exercice du culte à la police et avait en fin de compte admis que la publicité en fut réglée selon cette formule : « en se conformant toutefois, vu les circonstances actuelles,

  1. M. Mathieu préfère, et sans doute avec raison, le récit fait dans la dépêche envoyée de suite au cardinal Doria à celui des Mémoires, écrit en 1812. Notre réfutation porte donc sur cette dépêche. On en verra le texte dans Mathieu, O. c, p. 210-213.