Page:John Ruskin par Frédéric Harrison.djvu/269

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tion du lecteur est sans cesse plaisamment tenue en éveil par l’impossibilité d’imaginer ce qui va suivre, si bien que lorsque la seconde idée se présente, elle lui paraît tout à fait incongrue, jusqu’à ce qu’il ait trouvé le fil qui l’unit à la précédente et il y arrive avant que la phrase soit achevée.

Il faut pourtant admettre que les limites du badinage et de l’inconséquence sont parfois atteintes ou même dépassées. Il y a certains passages, sans doute, même parmi ceux qui sont restés dans l’édition revue et réduite de 1896, qui ne peuvent avoir été composés par un homme en état de contrôler ses propres pensées. Depuis sa grande attaque cérébrale, Ruskin laissa tomber souvent de sa bouche ou de sa plume des mots qui semblaient naitre sous l’influence d’un narcotique ou dans un état de rêve. Un mot, un son, une association de hasard, suggéraient un sujet nouveau qui n’avait avec le précédent qu’un lien verbal, aucune connexion logique, et équivalait presque à un simple calembour. Il dit lui-même (Lettre LXII) que telle gambade de sa part « si singulière et hors de propos qu’elle paraisse, était aussi sérieuse et aussi intentionnelle que les danses de Morgiane autour du capitaine des quarante voleurs ». « Si je quittais seulement pour un instant le masque d’arlequin, vous me prendriez de suite pour un fou. » Cela est vrai la plupart du temps, mais il arrive aussi par