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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/146

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


fortifiée, quand elle fut proposée, en 1850[1], avait soulevé la protestation des penseurs ; elle excède la proportion légitime entre le délit et la peine. « Quoi ! s’écriait Hugo, joindre aux tortures de l’exil les tortures de la prison, murer un homme dans une forteresse qui, à cette distance, apparaît avec un aspect si funèbre que, vous qui la construisez, vous n’êtes pas sûrs de ce que vous bâtissez là, et que vous ne savez pas vous-mêmes si c’est un cachot ou si c’est un tombeau… Vous voulez donc que lentement, jour par jour, heure par heure, à petit feu, cette âme, cette intelligence, cette activité, ensevelie toute vivante à quatre mille lieues de la patrie, sous ce soleil étouffant, sous l’horrible pression de cette prison-sépulcre, se torde, se creuse, se dévore, désespère, demande grâce, appelle l’air, la vie, la liberté, et agonise et expire misérablement. Ah ! c’est monstrueux… Mais levez-vous donc, catholiques, prêtres, évêques, hommes de religion, qui siégez dans cette Assemblée et que je vois au milieu de nous ! Levez-vous, c’est votre rôle ! Qu’est-ce que vous faites sur ces bancs[2] ? »

Le 2 mai, Dreyfus reçut, pour la première fois, des lettres de sa femme, datées du 18 février, antérieures à son départ. Le 12 juin, le commandant lui remit enfin les lettres qui, arrivées à Cayenne à la fin de mars, avaient été renvoyées à Paris pour être lues, au préalable, par les administrations des Colonies et de la Guerre. Il est interdit aux siens, comme à lui-même, de parler d’autre chose que « des affaires de famille[3] ».

  1. La loi du 8 juin 1850 fut proposée par Rouher.
  2. Assemblée législative, 5 avril 1850. — Une souscription publique fut ouverte, sur la proposition d’Émile de Girardin, pour répandre le discours de Victor Hugo.
  3. Rennes, I, 241, André Lebon.