Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
158
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


France pour proclamer son innocence. Il n’ignore pas le rôle des passions, de la haine, dans les drames de la vie réelle ; seulement, dans l’équation qu’il établit, il leur attribue un coefficient trop faible. Elles comptent pour zéro dans son propre jugement.

Ainsi peu d’hommes ont eu, à un plus haut degré, le culte de la raison. Il raisonne tout. Sa devise est celle d’un autre Juif, Spinoza : Non flere, non indignari, sed intelligere. Esprit exact, réfléchi, modéré, pondéré, parfaitement équilibré, où tout est bien rangé, à sa place, d’un ordre irréprochable, mais qui fait regretter les beaux désordres. Impossible d’être plus sensé, plus sage, plus juste. Parfois, on le voudrait injuste et furieux.

Dès lors, il n’y a d’insatiable que sa soif de savoir. Toutes ses préférences intellectuelles vont aux sciences exactes et à celui des arts qui est presque une science, l’histoire. Il suit avec un soin extrême, dans les revues qu’il reçoit, les découvertes réalisées en son absence, s’intéresse surtout aux progrès de l’électricité, pénètre la théorie des rayons X, critique la mode qui consiste à désigner les unités électriques par les noms des grands savants[1]. Quand il reviendra, il sera au courant, pourra causer de ces sujets qu’un polytechnicien ne doit pas ignorer.

Il étudie, débrouille un très grand nombre de questions d’histoire, ne s’attachant qu’aux faits. Il copie, dans un cours de littérature, quelques belles phrases sur le génie frémissant de Michelet, qui est peuple et poète et qui a vu la France comme une personne vivante, comme une âme. Mais c’est un romantique ; Guizot, Fustel de Goulanges sont des classiques. Les

  1. Ailleurs, il dessine le schéma d’une installation électrique.