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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/297

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LE PETIT BLEU


« Il fallait être pistonné, je ne l’étais pas. » Pourtant, il a les plus belles notes ; on peut s’adresser aux chefs qui l’ont vu à l’œuvre : Rebillard, Haquié, Logerot, Santelli. Tandis qu’il marque le pas, son beau-frère, « qui n’a jamais entendu le vent d’un coup de fusil, va être capitaine de vaisseau et officier de la Légion d’honneur ». Il subit, dans l’aristocratique famille de sa femme, « les plus douloureux, les plus humiliants » contre-coups de tant de passe-droits. Cependant il est issu d’une glorieuse famille de soldats. Pourquoi « les questions de sentiment, qui ont tant de poids dans les autres armées », — il pense toujours à l’armée allemande — « n’en ont-elles aucun dans la nôtre » ? Et il évoque les cinq officiers généraux que sa famille a donnés à la France : son oncle, son père, « qui inscrivit de la pointe du sabre sur l’étendard du 4e hussards le combat de Konghil, le seul fait d’armes, a dit le prince Frédéric-Charles, dont puisse s’enorgueillir la cavalerie française depuis les guerres de l’Empire », et trois Esterhazy restés sur les champs de bataille, hier encore, son petit-cousin Valentin, lieutenant aux tirailleurs tonkinois, tombé au combat de Deng-Tuen[1]. « Et il n’y aura plus que moi du nom dans l’armée française ! »

Il est sauvé si Billot le fait entrer au ministère de la Guerre : « Sinon, je suis radicalement perdu[2]. »

Ce pathétique discours émeut Jules Roche ; il écrit à Billot, lui recommande « très particulièrement cet officier du plus rare mérite, un véritable homme de guerre, un soldat comme il n’y en a pas beaucoup. Je voudrais seulement que vous le vissiez pendant dix minutes. » Ce vice-président de la commission de l’armée a subi le

  1. Le 12 janvier 1892,
  2. Cass., I, 699, lettre d’Esterhazy à Jules Roche.