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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/350

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Si Picquart a eu tort de ne pas rendre compte à Boisdeffre sitôt qu’il eut découvert le traître ; si Boisdeffre a eu tort de ne pas informer Billot, sitôt qu’il a connu par Picquart qu’Esterhazy est l’auteur du bordereau ; quelle faute plus lourde encore commet Billot lui-même, quand enfin il est avisé, de ne pas aviser ses collègues, son ami Méline, le Président de la République ?

Depuis dix jours, tout à coup, Dreyfus est ressuscité d’entre les morts ; son nom est dans toutes les bouches. Méline s’inquiète de ce bruit importun, d’autant plus qu’il ne doute pas que Dreyfus est coupable. Et Billot, dès qu’il a reçu le rapport de Picquart, n’en avertit pas Méline[1] !

Billot est certain de la loyauté de Picquart ; il a vu lui-même le dossier ; il est persuadé. Mais aurait-il des doutes, que ne les soumet-il à Méline, son ami, le chef du gouvernement, juriste consommé, conseiller sagace ? Ce fait si grave : le chef du service des Renseignements qui découvre une erreur judiciaire, — et quelle erreur ! — et qui a surpris à nouveau, en flagrant délit, le véritable auteur de la trahison, — et quel crime ! le monde entier en a retenti ! — ce fait si grave. Billot le garde pour lui, n’en dit rien à Méline, il le laisse dans l’ignorance d’un tel événement !

Alors même que Picquart se tromperait, Billot a-t-il le droit de ne pas informer Méline, Félix Faure ?

Qu’est-ce qui l’en empêche ? De quoi ce soldat, ce chef de l’armée, a-t-il peur ?

  1. Je tiens le fait de plusieurs membres du cabinet Méline ; Billot évite, dans toutes ses dépositions, de toucher à cette question délicate. Devant la Cour de cassation, Barthou dépose qu’au moment du procès Zola (février 1898), il ignorait encore, « d’une manière absolue, le rôle joué en 1896 par l’enquête du colonel Picquart » (I, 337).