Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1904, Tome 4.djvu/106

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pas… Vous n’étiez pas sous le coup d’une poursuite au moment où vous avez fait la communication à Leblois… Celui-ci ne s’est nullement préoccupé de votre défense… Tous deux vous poursuiviez ce but : Arriver à la condamnation d’Esterhazy pour trahison et à sa substitution au condamné Dreyfus[1]. » Invariablement, Picquart répondit : « J’avais à préparer ma défense… J’étais sous le coup de machinations… Si je n’avais pas pris les précautions que j’ai prises, ces machinations n’auraient pas avorté en partie, comme c’est le cas… Je ne me suis nullement tenu au courant des démarches de Leblois ; je lui ai donné un mandat, il l’a rempli comme il l’a entendu… À ce moment-là, je ne pensais pas à autre chose qu’à ma défense[2]. »

Fabre n’y comprit rien. Il ne pouvait admettre ni que Picquart, après avoir échoué à convaincre ses chefs de l’erreur judiciaire, n’en eût parlé à Leblois que sous le coup de la lettre d’Henry[3], certainement insolente, mais qui « ne justifiait pas sa crainte que son honneur et sa vie même fussent en danger[4] » ; — ni surtout que tous ces témoins galonnés, qui accusaient leur ancien camarade d’avoir mis en mouvement et documenté les promoteurs de la Revision, fussent des menteurs. Il y avait d’un côté toute la vérité ; de l’autre, la vraisemblance ; du premier jour, il tourna le dos à la vérité.

Toutefois il ne brusqua pas son enquête, mais la conduisit avec beaucoup de soin ; et s’il se trompa cruellement, malgré l’effort qu’il fit pour être impartial, c’est qu’il fut trompé, lui aussi, comme tant d’autres le

  1. Instr. Fabre, 192, 193, Fabre.
  2. Ibid., 192, 193. Picquart.
  3. Voir t. II, 518.
  4. Instr. Fabre, 192, Fabre ; 212, Réquisitoire du substitut Siben.