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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


sent jamais existé que dans des imaginations malades, perverses ou serviles. Aussi bien, comme Picquart s’était trompé sur la date d’arrivée du petit bleu[1] et avait convenu lui-même de l’avoir gardé pendant plusieurs mois, sans en avertir Boisdeffre, est-ce que toute l’enquête n’en devenait pas suspecte et Zurlinden fondé à se dire, à son tour, l’homme de la justice distributive ? « Henry a expié son crime par le suicide, Du Paty est en non activité ; Picquart na pas encore reçu le châtiment qu’il mérite[2]. »

Le trouble de Sarrien, à ces communications de Zurlinden, venait surtout de ce qu’il était à peine résigné à la revision ; Brisson, au contraire, qui s’y était attaché comme Ulysse au mât, les entendit sans danger. Que Picquart, emporté par la certitude du crime d’Esterhazy, eût ou non étayé sa conviction d’une pièce frauduleuse, Dreyfus n’en était pas moins innocent. Quand Zurlinden l’avisa au téléphone de son intention d’informer contre Picquart, il répliqua que Cavaignac avait référé des précédentes poursuites au Conseil des ministres et que le général eût à faire de même[3]. Il l’invita ensuite (par Sarrien) à faire venir Mercier et à l’interroger sur la communication des pièces secrètes ; mais Zurlinden s’y refusa.

Au travers de ces péripéties, Brisson, rien qu’à ne pas reculer, avait rétabli la bataille. Les plus enra-

  1. Dans son mémoire du 1er septembre 1896, il avait écrit que le petit bleu était de fin avril ; il dit ensuite à Pellieux qu’il l’avait reçu en mai. Lauth avait commis des erreurs de mémoire autrement graves.
  2. Lettre du 16 septembre 1896 : « Les agissements de Picquart pour imputer à Esterhazy le crime de trahison, la production et l’usage du petit bleu, qui paraît être un faux caractérisé, n’ont pas encore reçu la sanction qu’ils méritent. »
  3. Souvenirs de Brisson (Siècle du 20 mai 1903).