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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/106

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


monde entier attendît, non pas le verdict de Dreyfus, mais son propre verdict.

La réponse vint enfin, lente, grave : « Messieurs, après un examen approfondi, j’ai acquis, pour ma part, la conviction que le bordereau a été écrit, non par Dreyfus, mais par Esterhazy ! »

Un poids, comme d’un rocher, tomba des poitrines. Presque tous les yeux se mouillèrent. Beaucoup de conseillers, ceux de la Chambre criminelle qui avaient été tant outragés, ceux des Chambres civiles qui avaient si longtemps douté, ne retinrent pas leurs pleurs. Ces hommes, presque tous au terme de leur carrière, beaucoup des vieillards, avaient vu tant de choses, tant de misères, qu’ils se croyaient durcis, bronzés ; plusieurs l’étaient ; ils furent pris aux entrailles.

Ballot, faisant un nouvel effort sur lui-même, reprit ; revenant à son procédé familier, il en appelle à Esterhazy, et moins à ses aveux, sur la similitude entre son écriture et celle du bordereau, qu’à ses mensonges ; il le frappe par lui-même[1].

Esterhazy a répondu à Ravary : « Je n’ai jamais écrit sur du papier calque. » Et voici sa lettre, du 17 août 1894, à l’époque même du bordereau, quelques jours avant, sur le même papier qu’il prétendait n’avoir jamais employé ! « En mon âme et conscience, il ne m’est pas possible de contester l’existence de ce fait, que ne connaissaient pas les membres du conseil de guerre, quand ils ont, le 22 décembre 1894, prononcé la condamnation. »

Il dit encore quelques mots, brefs, ceux qu’il fallait

  1. Cassagnac écrivit le lendemain dans l’Autorité : « Le président rapporteur Ballot-Beaupré s’est montré le digne émule des scélérats de la Chambre criminelle. »