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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/119

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DÉFENSE RÉPUBLICAINE


fait aussi que l’histoire a enregistré seulement deux grandes réparations judiciaires ; et toutes deux, Dreyfus, Calas, en France. On attend les autres peuples à l’épreuve ; encore la partie ne sera-t-elle plus égale, car la leçon donnée par la France, l’expérience qu’elle a faite, sont des enseignements pour le monde entier. À elle, à elle seule, ils ont coûté cher[1]. Grâce à elle, à la tragédie qui l’a déchirée, un coin qu’on n’arrachera plus est entré dans la quiétude des juges, des justiciables. Les vieux codes, les vieux prétoires sont toujours debout. Cependant quelque chose est changé. Plus d’arrêt réputé infaillible ; sur chaque arrêt, la peur, l’ombre d’une erreur. Bien plus, c’est l’heure où Tolstoï écrit Résurrection. La justice humaine, pour la première fois, cherche sa justification, s’interroge : « Suis-je légitime ? » L’intérêt social dit encore « Oui », la science hésite. Deux grands souffles ont passé, l’un de bonté, l’autre, non moins bienfaisant, de doute.

II

Les adversaires les plus notoires de la Revision avaient pris l’engagement public de tenir pour bon l’arrêt des Chambres réunies, fut-il sans renvoi. Le dépit, la colère, la haine, chez quelques-uns une véritable férocité, une sottise opaque chez beaucoup, l’emportèrent, du premier jour, sur la parole donnée. L’arrêt de la seule Chambre criminelle, si elle n’avait pas été dessaisie,

  1. C’est ce que j’écrivis, au lendemain de l’arrêt, dans le Siècle : « À qui revient l’honneur de la Revision ?… Au génie de la France, à l’âme historique de la France. »