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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/153

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DÉFENSE RÉPUBLICAINE


lement des dissentiments d’ordre politique, comme avec Gohier, d’une fureur ininterrompue, qui tournait à la manie, dans son âpre et malsaine solitude, mais d’autres divergences encore, plus intimes, sinon plus graves, qui tenaient au caractère même de ces hommes paradoxalement assemblés autour d’une idée. Ils vécurent alors les dernières heures d’un rêve, où la plupart furent meilleurs et plus grands qu’eux-mêmes, étant sortis d’eux-mêmes et ayant tenu de beaux personnages. Encore un acte à jouer dans la fièvre de la bataille, et la toile va tomber, les lumières s’éteindre, ils déposeront leurs costumes, comme font des acteurs, et ils se retrouveront eux-mêmes, les bons, les médiocres et les autres.

Les revisionnistes, n’ayant pas eu de chef et seulement un très petit nombre de doctrines communes, n’étaient pas un parti ; mais ils en avaient l’apparence, et les faiblesses. Désintéressés, pour la plupart, et n’attendant pas de leur effort un profit d’ambition ou d’argent, ils avaient, par contre, le sentiment très vif de ce qu’ils avaient peiné et de l’estime ou de la gloire qui leur étaient dus. De là des amours-propres blessés, des jalousies, parfois puériles, même contre les privilégiés de l’injure[1] ; surtout, quelques militants « des premiers jours, amers et doux », se trouvèrent un peu méconnus « au profit des ouvriers de la dernière heure ». Le Comité de la Ligue ayant chargé Trarieux d’adresser un remerciement public aux « champions de Dreyfus », il n’y avait nommé que Scheurer, Zola et Picquart, parce

  1. Dans sa préface au Monument Henry (listes de la Libre Parole publiées par ordre alphabétique), Quillard oublie seulement de mentionner le titre et l’objet de la souscription : « Pour la veuve et l’orphelin du colonel Henry contre le Juif Reinach. » (Voir t. IV, 439.)