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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/161

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DÉFENSE RÉPUBLICAINE


Ce qu’il y avait de paradoxal en apparence dans l’opération séduisit par la nouveauté : une émeute légale, non plus pour renverser un ministre ou un roi, mais pour appuyer le chef de l’État, le défendre contre les gens qui se disaient, depuis des siècles, les représentants attitrés de l’ordre et qui provoquaient au désordre depuis des mois. En conséquence, ces mêmes gens n’hésitèrent pas, dès que le combat leur fut offert, à le refuser. Rien que le langage de Gérault-Richard leur fit passer le goût de récidiver. C’était une manière de mousquetaire populacier, la corpulence et les bras d’un paysan, qui mettait flamberge au vent pour un mot et qui parlait, écrivait comme il se battait. Il dit exactement ce qu’il fallait dire pour être compris : « Nous voudrions un champ de bataille qui sentît moins le fumier et la prostitution… Ah ! ah ! beaux fils, nous allons vous traiter comme vous traitez vos larbins ![1] » Les « beaux fils », qui avaient projeté de recommencer[2], ne doutèrent pas qu’il ferait comme il disait. Beaucoup partirent pour la campagne[3] ; les autres annoncèrent qu’ils resteraient chez eux. Il y avait, en effet, moins de risques à insulter un vieillard et à le frapper par surprise qu’à se mesurer avec les ouvriers de Belleville ou la jeunesse des écoles.

Tout le sens profond de notre histoire contemporaine est dans ce rapide mouvement de Paris. La majorité de la bourgeoisie et la masse du peuple flottent depuis cent ans et se divisent entre les différentes formes de la Révolution, libérale ou républicaine, césarienne ou socialiste ; pour les rapprocher, il suffit que l’Ancien

  1. Petite République du 7 juin 1899.
  2. Haute Cour, I, 27, rapport Hennion ; 118, dépêches Cordier.
  3. Francis Charmes, dans la Revue des Deux Mondes du 15.