Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


face à tous les réactionnaires… Le respect de tous les arrêts… Il n’est pas un général qui se soit incliné plus spontanément devant la Constitution… J’aurai, du moins, fait tout mon devoir… » La tempête d’injures et de vociférations emportait tout ; de guerre lasse, au bout d’une heure, il descendit de la tribune, où il fut remplacé par Vaillant. Un radical obscur[1], qui était inscrit pour parler, y renonça, « parce que ses sentiments lui interdisaient de piétiner sur un cadavre ».

En effet, ni l’offensive de Viviani, ni les mesures dont le gouvernement s’était fait précéder devant la Chambre, ni l’évidence de tant de périls coalisés, ni la cause manifeste de tout ce trouble, l’Affaire enfin éclatante de vérité, n’avait réussi encore à détacher assez de voix pour faire une majorité. Les terreurs simulées des uns, les haines des autres, les convoitises déçues, puis ranimées, étaient encore les plus fortes.

Au dernier moment, deux hommes, très opposés d’ordinaire d’opinion, mais également républicains et convaincus également de l’innocence de Dreyfus, Aynard et Brisson, sauvèrent la partie. Bourgeois était retourné à son congrès de Hollande.

Comme Pelletan venait de déclarer qu’il s’abstiendrait, parce que sa pureté répugnait également au contact de la Droite et à celui de Galliffet, Brisson, tout malade qu’il fût, s’élança à la tribune : « Et je dirai, moi, pourquoi je ne m’abstiens pas ! » Il rappela que, le premier, autrefois, « après les redoutables catastrophes », il avait réclamé l’amnistie : « Mais alors nous ne rusions ni avec les hommes, ni avec les choses, ni avec les mots. » — Il ne dit pas, mais c’était sa transparente pensée, que l’amnistie, « l’oubli des haines »,

  1. Magniaudé, député de l’Aisne.