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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/215

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LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE


d’argent). Le directeur de la Sûreté, qui s’était rendu sur les lieux, lui annonça un choc inévitable pour l’arrivée de Dreyfus ; dix mille manifestants ou curieux se porteront à sa rencontre[1]. Il préféra donc avoir l’air d’avoir peur et décida, avec Lanessan et Galliffet, de maintenir les instructions de Dupuy : Dreyfus sera débarqué de nuit, secrètement, à la pointe de la presqu’île de Quiberon, à Port-Haliguen, d’où un train spécial le mènera à Rennes.

Le 30, au matin, Dreyfus, en montant sur le pont, aperçut les côtes de France ; une grande joie l’envahit ; puis, aussitôt, une dure déception commença à lui ouvrir les yeux. Le Sfax ayant stoppé au large, un premier bateau parut, apporta des ordres (la confirmation de la dépêche de Lockroy). Dreyfus n’en sut que ceci : qu’un autre navire viendrait le chercher pour le portera terre, mais sans qu’on voulut lui dire où[2], et que le débarquement était remis. Ainsi le beau retour qu’il avait imaginé n’aura pas lieu et, de nouveau, la réalité l’étreignait, son épreuve n’était pas finie.

Le Sfax, dans l’après-midi, reprit sa marche, lentement, le long des côtes, jusqu’au soir, où il jeta l’ancre. Le temps, à la tombée de la nuit, devint tout à coup affreux, comme si l’océan déchaîné, le ciel se vidant en pluie, le vent soufflant et hurlant comme pour le roi Lear, eussent voulu préparer l’infortuné à l’accueil des hommes.

Du rivage, les cent et quelques habitants de Port-

  1. Rapports des 20, 21, 23, 24 et 26 juin 1899.
  2. Lucie Dreyfus lui avait télégraphié le 18 juin, aux îles Açores : « Attends avec impatience bonheur te revoir à Rennes… » Le Sfax n’ayant fait escale qu’aux îles du Cap Vert (où l’administration eût pu faire adresser la dépêche), Dreyfus resta jusqu’au bout dans l’ignorance de sa destination.