Aller au contenu

Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/283

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
273
RENNES


même mon affaire… Je prouverai pièces en mains qu’ils sont des misérables et tout sera fini… Je ne mourrai pas seul et me ferai de belles funérailles… J’ai deux lettres formelles relatives aux instructions qui m’ont été données pour expliquer la facture du bordereau ; ils vont me contraindre à les sortir… Je vous jure par mes enfants que je les tiens, que je ne veux pas les tuer, que je voudrais les sauver. Envoyez-moi quelqu’un ; faites part de ce que je vous dis à M. de Beaurepaire, à qui vous voudrez, mais, au nom de Dieu, qu’ils ne me forcent pas à les achever[1] !

Cabanes, soit qu’il fût dupe, soit qu’il en fût arrivé à faire le jeu d’Esterhazy, montra ces lettres, affirma que tout était à craindre du misérable, en proie aux furies, abandonné de tous, de la fille Pays elle-même qui se cachait à Lourdes sous un faux nom[2] ; c’était vrai qu’il manquait, parfois de pain, « seul au monde, plus seul mille fois que dans les solitudes du désert, dans une solitude morale, quelque chose d’atroce[3] ». Et pourquoi n’ira-t-il pas à Rennes ? Qu’y risquait-il ? Pour Cabanes, son devoir d’avocat était de l’y engager,

  1. Lettres à Cabanes de juin et de juillet 1899. — Mêmes menaces dans ses conversations, à la même époque, avec Serge Basset. Il s’y dit également certain de l’acquittement de Dreyfus : « La vérité, c’est que tout le monde va se donner sur mon dos le baiser Lamourette et qu’au cinquième acte, apothéose, on verra Boisdeffre et Gonse, Clemenceau et Reinach en maillots roses et en tutus, venir danser un pas de quatre autour de Loubet… Cette armée qui collectionne les coups de pieds au derrière comme les enfants des timbres-poste… On a fait du prétoire un office pour valets de pied… Je méprise tellement toute cette prostitution mâle que je me foutrais de leurs injures et de leurs infamies si je n’avais à défendre mon nom et mes enfants… Je ne mourrai pas seul… etc. »
  2. Elle écrivait à Cabanes qu’elle avait peur d’être arrêtée.
  3. Lettre d’Esterhazy à Cabanes.
18