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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/293

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RENNES


de ses souffrances lui eût fait horreur, mais il avait fait effort pour dissimuler sa misère physique le plus qu’il était possible, pour cacher sous le décor d’un soldat invaincu la loque d’homme que le bagne, le climat meurtrier et Lebon avaient fait de lui et, à la lettre, farder son squelette. — Ainsi, il a fait ouater son uniforme, ce qui donne un semblant de carrure à ses épaules et à sa poitrine[1], et, relevant à peine d’une crise violente de fièvres, le foie congestionné, incapable de supporter d’autres aliments que le lait et les œufs, il s’est gorgé de stimulants, crainte de se trouver mal[2] et pour s’armer d’une force factice. — En conséquence, les drôles de la presse antisémite vont tourner contre lui cet âpre vouloir et cette touchante supercherie. Ils virent que l’âme seule tenait debout ce pauvre corps et que son uniforme, tout rembourré qu’il fût, « était sur lui comme sur un mort[3] » ; et ils écrivirent « qu’il n’avait nullement souffert ni du climat ni des gardes chiourmes pendant sa lointaine retraite », « sa villégiature » à l’île du Diable, que « sa mine éclatait de santé » et « qu’il était comme honteux dans l’habit militaire qu’on lui avait rendu[4] ».

Il entendit plus qu’il n’écouta l’acte d’accusation de 1894 (les anciennes hypothèses, abandonnées par l’ancien État-Major lui-même, sur les notes du bordereau, les sales histoires sur les femmes âgées avec qui il aurait vécu), s’anima seulement à l’appel des témoins,

  1. Barrès : « Ses épaules ont de la carrure, mais le tailleur militaire les a certainement ouatées, car les genoux pointent sous le pantalon flambant neuf et des plis épais trahissent la maigreur des cuisses. » (Loc. cit., 138.)
  2. Cinq Années, 329.
  3. Chevrillon, loc. cit.
  4. Libre Parole, Éclair, Journal et Gaulois du 9.