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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/296

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lement, il a changé de ton[1] ». — Puis, brusquement, une sorte de cri « rauque » se fit entendre, « arrachant, pour passer, la gorge étranglée[2] », et que la sténographie nota ainsi : « J’affirme encore que je suis innocent, comme je l’ai déjà affirmé, comme je l’ai crié en 1894… Je supporte tout depuis cinq ans, mon colonel, mais encore une fois, pour l’honneur de mon nom et celui de mes enfants, je suis innocent, mon colonel[3]. » Mais l’on ne perçut distinctement, dans ce sanglot, que quelques mots : « Honneur… enfants… innocent… », et son invocation répétée à Jouaust : « Mon colonel ! » qui parut aux plus endurcis comme les deux bras tendus d’un suppliant[4]. Il se décolora entièrement[5], flageola sur ses jambes, comme en proie au vertige ; mais « ses yeux pleins de larmes ne pleuraient pas » ; et il avait repris le calme, où il mettait sa dignité d’innocent, bien avant que les spectateurs et les juges fussent revenus du frisson qui les avait secoués, — et ce fut tout ce qu’il donna à l’émotion ou à l’éloquence.

Mathieu, affreusement pâle, eût voulu crier pour lui[6].

Jouaust, quand il put raffermir sa parole : « Alors vous niez ? — Oui, mon colonel. » Mais il ne dit plus qu’un mot de l’écriture du bordereau (alors que c’était tout

  1. Voir t. IV, 522.
  2. Varennes, Aurore du 8 août 1899.
  3. Rennes, 22, Dreyfus.
  4. Barrès, 139.
  5. « Il n’est pas pâle ; il n’est pas blême ; il y a dans sa peau du gris de fer, du bleu d’acier. » (Varennes.)
  6. « Pour moi, qui le connais si profondément, qui sais qu’il ne vibre pas extérieurement, qu’il ne le peut pas, j’aurais voulu crier pour lui lorsque, dans sa protestation d’innocence, la voix s’arrêtait dans sa gorge, et que ses yeux, pleins de larmes, ne pleuraient pas. » (Lettre du 8 août)