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Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1905, Tome 5.djvu/298

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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


des plus secrets et que je les aie connus. Cela n’est pas ; mais je l’accorde. Et après ? »

Mais Dreyfus, à la fois trop militaire et trop affaibli, ne trouva pas dans sa présence d’esprit ce refus de disputer sur des hypothèses ; ou, si l’idée lui en vint[1], il l’écarta, « par déférence », parce qu’il était déjà redevenu la machine qu’est un subordonné devant un chef qui a un galon de plus. Ainsi, il se crut tenu de répondre, une heure durant, au minutieux interrogatoire de Jouaust, sur ce qu’il avait connu à l’École de guerre ou à l’École de pyrotechnie, dans son service à l’État-Major ou dans « des conversations particulières », ou sur ce qu’il n’avait pas connu de la pièce de 120 et de la structure intime de son frein, des tableaux d’approvisionnement et de la suppression du service des pontonniers ; et, dès lors, ce fut lui qui parut chicaner, alors que toute cette chicane avait été savamment inventée contre lui, afin de l’écarter du terrain solide qu’était le bordereau d’Esterhazy et de l’enliser dans l’absurde. — Quand il convient d’avoir su ce que son métier le mettait dans le cas de savoir, Jouaust recueille (ou feint de recueillir) sa réponse affirmative comme une preuve contre lui ; quand il nie d’avoir été informé de certains détails, c’est qu’il a apparemment des raisons de cacher la vérité. Indistinctement, le vieux colonel a ramassé toutes les inventions arbitraires ou saugrenues

  1. C’est ce qu’il dit à Demange après l’audience : « J’aurais peut-être dû refuser de répondre à toutes les questions qui m’étaient posées sur le bordereau. Ce sont des points inconnus pour moi. Le bordereau ayant été écrit par un autre, les documents qui y sont mentionnés doivent être expliqués par un autre et non par moi. Mais le président du conseil avait le devoir de me poser ces questions et je devais y répondre, ne serait-ce que par déférence pour son grade. » Ces propos furent connus et reproduits par les journaux. (Jean-Bernard, 27.)