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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

On faisait hier appel à ce sentiment français qui aime à se rappeler son passé, ce qu’il a été, ses grandeurs ; ce qui me préoccupe n’est pas de voir que nos institutions sont attaquées. Notre caractère national lui-même se trouve menacé.

Nous avons toujours été un peuple épris d’idéal et de raison. Nous étions avides d’égalité, et des prédications furieuses exhument, pour les vanter, des souvenirs qui sont la honte de l’histoire, essayent de précipiter toute une partie d’un peuple contre un autre. Nous étions avides de justice, et l’on a pu dire, sans que partout ce peuple frémisse, que, contre le droit individuel, il peut y avoir des raisons d’État.

Certains mots ont perdu leur sens : craindre qu’une erreur ait été commise, ce n’est pas obéir au plus noble devoir et au plus noble sentiment de l’humanité, non ; dans un certain jargon nationaliste, cela a été méconnaître la patrie.

Vouloir réparer cette erreur, cela a été une forfaiture. Et voilà qu’on nous demande maintenant des tribunaux exceptionnels ou extraordinaires !

Il semble, en vérité, que certains actes soient oubliés et que certains souvenirs ne mordent plus au cœur, comme autrefois, les fils ou les descendants des proscrits de 1851.

Je me refuse à amnistier le passé ; nous ne fournirons pas aux réactions de l’avenir un précédent républicain.

On a parlé de l’opinion… Je réponds : Parlons de la justice ; je dis, en outre, qu’il ne faut pas prendre pour l’opinion de la France les clameurs de quelques professionnels.

Je dis à mon tour : Des hommes politiques ne doivent jamais considérer le moment présent, ils doivent regarder l’avenir. Oui, l’opinion est mobile ! Oui, elle a des retours soudains et irrésistibles… Et ce qu’elle pardonne le moins, ce sont les fautes qu’elle a commises parce que ses représentants les lui ont laissé commettre.