mée, de Coligny et de d’Aubigné, parce que la crise, en effet, étant surtout morale, a refait aux hommes, juifs ou catholiques, les mêmes consciences. Picquart, qui a tout perdu, Hartmann, traité en paria dans son régiment, n’ont pas arrêté l’élan de Freystætter. Pour avoir, le premier, dénoncé l’erreur judiciaire, Bernard Lazare a connu les mêmes haines sauvages que Zola ; quiconque a le respect de soi-même, s’il tient une plume, ne laissera pas tomber le rideau sans s’être inscrit sur la liste des « vendus » et des « sans-patrie ». Claretie, dans une lettre aux juges[1], va les supplier de déchirer le jugement du premier conseil de guerre comme, lui-même, il déchire sa page d’autrefois sur la dégradation[2] et, insulté, se sent léger d’un remords. Vienne une nouvelle défaite ; elle trouvera les vaincus plus nombreux qu’à la veille de la bataille.
Le neveu de Taine, son véritable héritier, Chevrillon, qui passa quelques jours à Rennes, y fut frappé surtout de ce spectacle : « Des hommes qui s’aperçoivent semblables parce qu’en eux toute pensée a disparu sauf une pensée semblable… » « Aussitôt qu’on devinait la même idée chez son voisin, on allait à lui, les mains se tendaient, spontanées, confiantes. Que d’amitiés se sont révélées toutes faites dans ces longs faubourgs silencieux ! » Tous se croyaient, se sentaient vaguement les précurseurs d’un monde nouveau.