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RENNES


l’esprit de corps, la solidarité, l’habitude de suivre les chefs, le souci de l’institution militaire menacée, la crédulité aux légendes et aux formules, le dilemme : « Les généraux ou Dreyfus », la raison d’État eussent été entamés par l’évidence ; que la conscience, finalement, l’emportât sur la consigne. Si, déjà, la brèche, la voie d’eau est ouverte, comment la boucher ?

Précisément, la semaine précédente, la quatrième du procès, n’a pas été bonne pour l’accusation : d’abord, la rétractation de Charavay ; les dépositions de Freycinet, de Deloye, de Lebrun-Renaud, c’est-à-dire, malgré les équivoques et les réticences, « pas d’aveux, pas de preuves matérielles, pas de Syndicat » ; puis, la niaiserie des témoins de Quesnay ; surtout, la conférence technique d’Hartmann, d’un Descartes artilleur, qui a pris pour mot d’ordre celui de Hoche : « Des faits, non des mots », ses raisonnements pareils à des boulets, qui allaient droit comme eux, sa vive offensive, à la française, toute la puissance de rayonnement d’une haute intelligence scientifique et d’un caractère irréprochable[1] ; finalement, le samedi, Gonse s’enferrant, à propos d’Henry, appelant fabriquer un faux « chercher une preuve[2] », et la courageuse confession d’un des anciens camarades de Dreyfus, Fonds-Lamothe[3]. Après avoir été longtemps des plus acharnés contre l’auteur présumé du bordereau, la lumière s’était faite en lui, du jour où il avait su que la fameuse lettre n’était pas

  1. Rennes, III, 187 à 226, Hartmann. — « Décision de la pensée qui mord sur les résistances, y insiste, s’y attache avec la précision coupante et fine d’un burin d’acier… » (Chevrillon.)
  2. Ibid., III, 278, Gonse : « Ce qu’Henry voulait faire, c’était évidemment chercher encore une nouvelle preuve contre Dreyfus… C’est un événement très malheureux, très mauvais. »
  3. Ibid., 256 à 307, Fonds-Lamothe.